23 mars > roman Etats-Unis > T. C. Boyle

Avec son look punk, Tom Coraghessan Boyle a un air d’outsider. L’écrivain américain écolo cultive d’ailleurs un goût pour les héros marginalisés. Lui est pourtant bien ancré dans la littérature de son pays. Enseignant l’écriture à l’université, le lauréat du Médicis étranger 1997 (América) aime brouiller les pistes, les styles ou les temporalités historiques. Ses romans et ses nouvelles laissent toutefois entrevoir un portrait critique de l’Amérique. Une acidité qu’on retrouve dans le dernier, Les vrais durs.

"Le but des vacances, c’était de se nettoyer le cerveau." En ce qui concerne Sten et sa femme Coralee, on ne peut pas dire que ce soit vraiment réussi. Une bande de malfrats armés vient gâcher leur séjour au Costa Rica. L’ancien marine retrouve ses réflexes d’antan en tuant l’un des assaillants. On lui sermonne qu’il est "un héros, un vrai héros", mais Sten ne voit pas les choses ainsi. "Son histoire puisait dans quelque profond recoin régressif de la psyché américaine." Celui qui consiste à créer des Superman à tout prix. A priori, ce retraité a tout pour lui, mais l’homme possède une faille indéniable : son fils Adam. Des troubles psychotiques alimentent la paranoïa permanente de ce brave garçon, qui vit dans un monde parallèle. Investi d’une mission, il se prend pour la réincarnation de Colter, "un éclaireur et un chasseur" du XIXe siècle. "Adam était l’homme des origines et moi, je n’ai rien d’original." Si ce n’est qu’à l’instar d’un joueur de jeux vidéo compulsif, il ne distingue plus la part de délire et celle de réalité.

Sa rencontre avec la pétulante Sara ne va pas arranger les choses. Cette héroïne, digne d’un personnage de Virginie Despentes, se veut libre, or "l’indépendance, ça n’existait pas". Attachée à son chien Kutya, elle prend Adam sous son aile. Ce dernier est envoûté par "ce moulin à paroles", doté de "gros nichons ballottant sous l’effet de yoyo des suspensions de la voiture".

Mais cette femme, possédant une forte personnalité, incarne surtout un combat contre l’Amérique, qu’elle juge machiavélique. Une terre ultra sécuritaire vénérant les armes à feu. "Il existe des peurs sans nom. Une peur qu’on ne pouvait ni définir ni vaincre." En cette ère de campagne électorale de Donald Trump, ce roman se révèle parfaitement d’actualité, tant il pointe la crainte, la vulgarité, le nihilisme ou le repli sur soi.

T. C. Boyle fait preuve d’ironie en opposant son personnage d’Adam, homme des bois sauvage, au visage violent des Etats-Unis. Exacerbés, borderline ou révoltés, ses héros décalés sont renvoyés à leurs propres démons. Il y a un je-ne-sais-quoi de lynchien dans ce naufrage rythmé, qui peut basculer à tout instant. K. E.


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