Le tribunal administratif de Montpellier vient de se prononcer, le 6 avril dernier, à propos de la photographie d’Albert Camus, cigarette aux lèvres, qui ornait la façade de la médiathèque de Clapiers (Hérault) baptisée en l’honneur de l’auteur de La Peste . Le célèbre cliché de Cartier-Bresson, reproduit par 4 mètres sur 3, avait suscité l’ire d’un conseiller municipal. L’élu y avait vu un «  acte de propagande ou de publicité, directe ou indirecte  » en faveur du tabagisme (dixit la loi Evin). Non seulement l’endroit accueille un jeune public, mais une pharmacie est installée à une vingtaine de mètres, à quelques encablures, de surcroît, d’un complexe sportif. L’élu estimait qu’« une collectivité doit donner l'exemple » et demandait qu’une autre photographie, moins fumeuse, soit choisie. Les juges ont pensé que l’affiche ne cherchait pas à «  encourager délibérément  », voire à «  suggérer, la consommation tabagique aux jeunes usagers de la médiathèque ou aux tiers passant à proximité  ». «  Elle vise seulement à mettre un visage sur le nom de l’écrivain philosophe sans faire toutefois mention d‘une marque de tabac  ». Le reste de la décision, qui devrait faire jurisprudence, est un peu plus technique en droit (soulignant notamment les contradictions de l’élu qui n’a pas saisi de juridiction de l’ordre judiciaire pour faire constater la violation de la loi Evin, avant de porter sa demande devant le tribunal administratif). Pour mémoire, la loi n°91-32 du 10 janvier 1991, dite « loi Évin », a été interprétée ensuite de manière extensive dans un curieux phénomène d’autocensure.   Ainsi, la Poste a édité en 1996, dans le cadre de l’hommage rendu par la France à André Malraux, pour le vingtième anniversaire de sa mort, un timbre à l’effigie de l’écrivain et ancien ministre de la Culture du général de Gaulle. Mais l’image choisie — une reproduction de la célèbre photographie de la portraitiste Gisèle Freund —, avait subi une réelle mutilation, la cigarette d’André Malraux ne figurant plus entre ses lèvres. La Poste a alors expliqué cette décision par la volonté de ne pas promouvoir la cigarette, estimant ainsi respecter les objectifs de la loi Evin. De la même manière, en 2005, les graphistes ayant travaillé sur le catalogue de l'exposition de la Bibliothèque Nationale de France consacrée à Jean-Paul Sartre à l'occasion du centenaire de sa naissance, s’étaient crus autorisés à gommer la cigarette qui quittait rarement ses doigts. Cette dérive dans l’application de la loi Evin est allée encore plus loin en 2009, au sein de l’espace d’affichage de la Régie Autonome des Transports Parisiens ( RATP ). En effet, sur l’affiche de l’exposition consacrée à Jacques Tati à la Cinémathèque française, ce dernier y avait perdu sa pipe au profit d’un ridicule moulin-à-vent. Métrobus, la régie publicitaire de la RATP, avait justifié ce subterfuge par la volonté d’interdire toute publicité indirecte pour le tabac, considérant cette approche conforme aux objectifs de la loi Evin. Enfin, cette interprétation extensive de la loi Evin s’est également manifestée dans la déformation de certaines affiches d’œuvres cinématographiques. Par exemple, en 2009, Métrobus (encore) a mis en cause la présence de fumée de cigarettes sur l’affiche du film Gainsbourg, vie héroïque de Joann Sfarr . De même, la représentation de Coco Chanel avec sa cigarette sur l’affiche du film d’Anne Fontaine Coco avant Chanel , a été refusée par la régie publicitaire de la RATP, celle-ci se prévalant une nouvelle fois du respect de la loi Evin. Le député Didier Mathus avait déposé une proposition de loi visant à amender la loi Evin, afin d’y introduire une sorte d’exception culturelle. Le texte avait été rejeté en janvier 2011, mais le gouvernement avait annoncé à l’Assemblée qu’il entendait prendre une circulaire ministérielle en ce sens. Las, la circulaire du 3 août 2011 qui a complété la loi Evin ne porte aucunement sur ce point. Il était temps que les juges remédient à cette carence maladive.

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