Correspondance/France 28 mars Stéphane Mallarmé

Non sans humour, Bertrand Marchal inaugure l'avant-propos de cette édition de la Correspondance de Stéphane Mallarmé (1842-1898), à la fois monumentale, exhaustive, scientifique et accessible à chacun, par quelques extraits de courriers adressés par l'écrivain à certains de ses proches : « J'ai horreur des lettres, et les crayonne le plus salement possible pour en dégoûter mes amis », écrit-il ainsi au poète parnassien François Coppée en 1866. Ou encore : « Ceci n'est pas une lettre, mais deux baisers/de ton/SM », à sa tendre amie Méry Laurent, en 1892. Une supposée phobie qui le conduit à signer, en 1894, une lettre à Charles-Louis Philippe d'un : « Celui qui n'écrit pas de lettres ». Il est vrai que certains de ses livres, non plus, « ne sont pas des livres », comme il l'explique à Paul Verlaine à propos de Divagations, recueil de proses paru en 1897.

Pour quelqu'un qui détestait l'art épistolaire, il l'a pratiqué toute sa vie, depuis ce petit mot émouvant dédié à son père Numa pour sa fête, sans doute en 1854 (Stéphane avait 12 ans), jusqu'à son ultime lettre testamentaire, adressée à sa femme et à sa fille le 8 septembre 1898, la veille de sa mort, bouleversante. Il décrit d'abord les symptômes de la maladie qui va l'emporter (« un spasme terrible d'étouffement »), mais se préoccupe surtout du sort de ses « Papiers » (la majuscule est de lui). Ce « monceau demi-séculaire de [ses] notes » dont « pas un feuillet n'en peut servir ». Et il conclut : « Brûlez, par conséquent », souhaitant ne laisser « pas un papier inédit ».

On ignore si « Mmes Mallarmé » ont suivi sa « recommandation », mais Mallarmé laissait quand même son fameux poème expérimental Un coup de dés jamais n'abolira le hasard, qui paraîtra seulement en 1914 (chez Gallimard), et une Hérodiade inachevée. C'est comme si l'écrivain, client idéal pour les psys, inhibé toute sa vie face à l'écriture, mais qui a néanmoins passé sa vie à écrire, désirait se gommer lui-même.

Il n'en est rien. Mallarmé est l'un de nos auteurs majeurs, dont s'est réclamée, jusqu'à aujourd'hui, toute une modernité poétique, et qui influença, de son vivant, les meilleurs de ses jeunes contemporains, lesquels fréquentaient les Mardis de son salon de la rue de Rome : Pierre Louÿs, Paul Valéry, André Gide et bien d'autres. De Gide, dont il avait distingué le génie précoce, il salue, dès 1897,Les nourritures terrestres : « Vous, cher Gide, seul, [...] pouviez mener cela, vraiment, à fin et arriver, sans composition apparente, jusqu'au suspens d'intérêt, vital, spirituel, tant votre souffle est homogène et simple. » Cela, c'est une lettre. Et il y en a tant d'autres, passionnantes, dans cetteCorrespondance, qui attestent les relations avec des écrivains, mais aussi des peintres, des musiciens, nouées par Stéphane Mallarmé, « contemporain capital », des années 1870 à sa mort.

Stéphane Mallarmé
Correspondance : 1854-1898 - Edition établie, présentée et annotée par Bertrand Marchal
Gallimard
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 65 euros ; 1 968 P.
ISBN: 9782072826412

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