3 NOVEMBRE - HISTOIRE France

C'est un sujet peu traité par les historiens, faute de documentation le plus souvent. On peut donc parler de livre pionnier. Les 17 spécialistes réunis par Raphaëlle Branche et Fabrice Virgili se sont attachés à sortir les viols des marges des champs de bataille. En les faisant passer au premier plan, l'image de la guerre est un peu plus terrifiante encore quand on songe à la permanence de ces pratiques, en tout temps, en tout lieu, indépendamment des cultures et des civilisations, avec pour seul moteur la haine et l'avilissement de l'autre.

De la Russie de Pierre le Grand à la Somalie actuelle, de la Première Guerre mondiale à la guerre de libération du Bengladesh, des nazis aux Soviétiques, des paramilitaires colombiens aux colonels grecs, du Rwanda à la Tchétchénie, toutes ces études novatrices mettent en évidence la banalité de ces barbaries. Il n'y a que Tal Nitsan pour analyser la rareté du viol dans le conflit israélo-palestinien. Son travail, loué par l'Université hébraïque de Jérusalem, lui fut d'ailleurs reproché dans la presse de droite israélienne. On l'accusa, à tort, de présenter les soldats de Tsahal comme racistes parce qu'ils refusaient de violer les Palestiniennes... Cette anthropologue livre au passage une réflexion passionnante sur la notion de corps et de territoire en temps de guerre, ou comment l'on passe des frontières physiques aux frontières sexuées. L'ouvrage tout entier est traversé par cette notion du corps de l'ennemi envisagé comme territoire. Le plus souvent, l'humiliation de cet ennemi passe par l'humiliation de la femme, et quelquefois de jeunes mineures qui elles aussi sont violées et torturées selon les mêmes principes. Le saccage des lieux s'accompagne du saccage des corps. "La violence sexuelle en temps de guerre n'est pas qu'une simple agression du corps féminin, elle est avant tout destinée à étouffer le corps politique", constate très justement Katherine Stefatos à propos de la guerre civile grecque entre 1946 et 1949.

Pour toutes ces femmes, les champs d'horreur se sont substitués aux champs d'honneur. Toutes ne sont pas mortes de ces infamies, mais celles qui en ont réchappé ont subi le fait de survivre à ces violences proférées au plus profond de l'intime, quelquefois avec des enfants nés de ces brutalités. Considéré aujourd'hui comme un crime de guerre puni par le droit international, le viol est une arme terrifiante et complexe qui nous entraîne vers les zones les plus sombres de l'imaginaire. Ce travail collectif en dresse un large panorama, en cherchant à mettre en évidence les ressorts de ces pratiques.

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