A la rentrée 1994, Le Dilettante publie sous une couverture kitsch l'épatant roman noir, dédié "à Betty Page et Vernon Sullivan", d'un certain Serge Dounovetz. La quatrième de couverture indique que celui-ci est "né le 19 mars 1959 à Paris (Ménilmontant), a été chanteur-parolier du groupe de rock Les Maîtres nageurs de 1977 à 1984. Il compose ensuite de nombreux textes pour différentes formations. Parallèlement, il écrit des nouvelles. Moviola est son premier roman. Installé à Montpellier depuis 1990, il a deux enfants et travaille comme technicien du spectacle".

En 2008, Le Dilettante publie un livre d'un certain Chefdeville, affirmant que son auteur est "né au siècle dernier en Auvergne. Issu d'une famille de six enfants, il vit en banlieue parisienne. L'atelier d'écriture est son deuxième roman". Difficile alors de résister à la gouaille d'un inconnu qui considère "la tapette à mouches comme l'une des plus belles trouvailles du monde civilisé" et a commis quinze ans plus tôt un polar intitulé Juré, craché, sur ton ombre. Curieusement, le débutant refuse les invitations à la télévision ou à la radio. Quatre ans après a sonné l'heure d'un outing volontaire : Dounovetz et Chefdeville ne sont en fait qu'un seul et même homme.

Il revient en librairie avec la réédition d'Odyssée Odessa, paru sous le nom de Serguei Dounovetz au Fleuve noir en 1999, et avec Je me voyais déjà. L'histoire drolatique d'un intermittent du spectacle aussi large que haut. Un hurluberlu, né "à Paname" avec des origines ukrainiennes, un grand-père maternel bougnat et une grand-mère bourguignonne, qui croise notamment sur sa route Mick Jagger et Merce Cunningham. L'écrivain ne cache pas la part autobiographique d'un volume où "tout est vrai ou presque" !

Dounovetz vient d'une famille "prolo lettrée", avec un père "coco" qui lisait Actuel première formule. Le petit Serge (pour l'état civil), que les siens appellent Serguei, tombe à 7 ans sur l'édition illustrée de Eton tuera tous les affreux, de Vernon Sullivan chez Joëlle Losfeld. Pas très assidu en classe, sa scolarité s'arrête après une "troisième arrangée" et un bref séjour dans un lycée technique. Ce "mec de terrain" entre comme "coursier à Vespa" dans une agence de voyages. Il sera tour à tour chasseur alpin pendant son service militaire, maître-nageur diplômé à la Ville de Paris, intermittent du spectacle pendant dix ans. L'écriture, il y vient par des nouvelles qu'il tape sur sa Remington et soumet à l'édition pour récolter moult réponses négatives. Dont une, argumentée et encourageante, du Dilettante. L'une des histoires, Caravanes, il la transforme en Moviola avec le résultat que l'on sait.

Mi-nihiliste, mi-libertaire

Dominique Gaultier, le grand manitou du Dilettante, refuse son texte suivant, manière de "pastiche", d'hommage "au polar des années 1950". La vie est une marie-salope trouve refuge au Fleuve noir, dans la collection que pilote Nathalie Beunat, aux côtés des romans de Claro et Pascal Garnier. Redevenu Serguei, Dounovetz se met aussi à écrire pour la jeunesse. Et lance chez Syros les aventures de Niki Java, intrépide petit rouquin qu'il réactive depuis tous les deux ans. Il publie aussi au Rocher, à La Vie du rail. Chez Moisson rouge, où il est le premier français. Chez Baleine, où son "Poulpe" s'intitule Sarko et Vanzetti.

Mi-nihiliste, mi-libertaire, Dounovetz aime brouiller les cartes et ne nie pas son côté "schizo". Au début des années 2000, grâce à un ami photographe, il met le pied dans le monde des ateliers d'écriture. Se met à aller à la rencontre des scolaires dans des collèges classiques, en Zep ou en Segpa. Ce qu'il continue aujourd'hui de faire avec coeur. Fasciné par Romain Gary, sa manière "de retourner les gens, de montrer l'esbroufe et l'apparat", il fomente un jour avec le roublard Gaultier le projet Chefdeville. S'abrite derrière le nom de sa mère et s'amuse même, pour le « prière d'insérer » de L'atelier d'écriture, à donner une photo de son cousin Jean-Marc !

Pour lui, qui a besoin "de publier pour se sentir bien", écrire est "une thérapie" quotidienne. Amateur de football, nostalgique du Red Star et du FC Lens, Dounovetz planche actuellement sur un opus noir "un peu transgenre". Quant à Chefdeville, pas question qu'il prenne sa retraite. Ses prochaines aventures, c'est un scoop, parleront "pas mal d'amour" !

Je me voyais déjà, de Chefdeville, Le Dilettante, tirage : 2 222 ex., 20 euros, 288 p., ISBN : 978-2-84263-697-5. Parution : le 7 mars.

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