Sur la notule biographique du site des éditions P.O.L, où Ryoko Sekiguchi publie son septième livre, les informations se limitent à quatre dates : « Publie en japonais depuis 1988, vit à Paris depuis 1997, est traduite en français depuis 1999, et écrit en français depuis 2003. » Repères succincts mais qui résument bien son identité biculturelle. C'est une Japonaise à Paris. Mais encore ? Tout à la fois une poète précoce, qui a publié son premier recueil de poèmes à 18 ans dans son pays natal, une cuisinière cultivée, une traductrice qui navigue dans les deux sens entre le japonais et le français, une performeuse gastronomique.

Traiteur littéraire

Je suis « traiteur littéraire », se présente-t-elle joliment. Si pendant longtemps elle a préparé elle-même des plats à déguster pour ses interventions, dans les médiathèques notamment, c'est avec la complicité du chef Sugio Yamaguchi qu'elle imagine depuis quelque temps des rencontres originales autour du goût. Le 8 septembre dernier, elle a ainsi conçu le « Banquet fantôme », un étonnant colloque au Centre Pompidou à Paris sur le thème « Fantômes, spectres et revenants », qui proposait de fusionner la cuisine japonaise avec le monde des idées et de la création. Ecouter, manger, échanger : soixante-quinze personnes se sont ainsi mises à table sur une scène, les intervenants, chercheurs et artistes, assis avec le public. Tous convives.

Souper unique

« Relier les mets et les mots » est la quête de Ryoko Sekiguchi qui, très tôt, en observant sa mère qui dirigeait une école de cuisine, s'est intéressée à la confection des plats, à l'histoire des ingrédients, à l'étymologie de leurs noms. Le partage et l'éphémère, voilà ce qui touche l'écrivaine gastronome dans la cuisine, cette « seule création qui, à peine apparue, va aussitôt disparaître ». 

Un repas, ce moment ordinaire, quotidien et pourtant exceptionnel puisqu'on ne le vit qu'une fois, elle l'a aussi partagé à la villa Médicis, à Rome, un soir d'août 2014 où elle a élaboré en guise de pot de départ son Dîner de 100 ingrédients, servi à une trentaine de pensionnaires en résidence comme elle. Le menu de ce souper unique clôt son dernier livre, Nagori, qui s'inscrit dans son exploration des liens profonds entre la cuisine et les mots que Ryoko Sekiguchi relevait dans Le club des gourmets et autres cuisines japonaises (P.O.L, 2013), un recueil de textes de la littérature japonaise traduits avec Patrick Honnoré. Sous titré La nostalgie de la saison qui s'en va, Nagori est une méditation vagabonde autour des saisons, de la temporalité et de sa perception variable, un texte dans lequel on retrouve aussi comme dans La voix sombre (P.O.L, 2015), qui évoquait la voix et le souvenir, sa sensibilité singulière à la disparition et à la présence des morts. 

Ryoko Sekiguchi se voit « plus traductrice qu'auteure ». Elle qui a notamment traduit Atiq Rahimi, Yoko Tawada et Jean Echenoz, estime qu'elle aurait été « un autre écrivain » si elle ne faisait pas ce va-et-vient permanent entre deux langues. Ses livres brefs, suspendus, contemplatifs, avancent en doutant. Fragiles comme une création culinaire. On peut les qualifier de « prose poétique », mais elle préfère le terme « essai », qui, sans sa connotation théorique, dit mieux le tâtonnement, le détour, l'équilibre fugitif de la pensée de cette subtile chercheuse du goût.

Ryoko Sekiguchi
Nagori, la nostalgie de la saison qui s’en va
P.O.L
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 15 euros
ISBN: 9782818046616

En dates


1970

Naissance 
à Tokyo


2001

« Calque » (P.O.L), recueil de poésie


2011

« Ce n'est pas un hasard » (P.O.L)


2012 

« L'astringent » (Argol) 


2013

Résidente à la villa Médicis, à Rome


2018

« Le guide
du saké
en France » (Keribus) avec Adrienne Saulnier Blache

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