Avant-critique Essai

Christine van Geen, "Allumeuse. Genèse d'un mythe" (Seuil)

Christine van Geen - Photo © Manon Jalibert

Christine van Geen, "Allumeuse. Genèse d'un mythe" (Seuil)

Dans cet essai captivant, la journaliste Christine van Geen s'appuie sur l'actualité, la littérature, la mythologie et l'histoire des idées pour déconstruire l'archétype de l'allumeuse.

J’achète l’article 1.5 €

Par Marie Fouquet
Créé le 23.05.2024 à 09h00

Désirs flous. Les allumeuses sont celles qui veulent puis ne veulent plus, qui se donnent l'apparence de filles faciles et qui finalement esquivent, échappent, glissent entre les doigts d'hommes pourtant persuadés qu'ils pourraient les avoir sans peine. La journaliste Christine van Geen montre ici que ce concept, aussi flou que puissant, nourrit une culture misogyne et patriarcale profondément inscrite dans notre société. Empli de réflexions, d'anecdotes, de références cinématographiques, littéraires, mythologiques et religieuses, cet essai philosophique propose de « déconstruire l'archétype de l'allumeuse ». S'appuyant d'abord sur la figure de la Genèse, Ève, la première femme, celle qui a incité l'homme à manger le fruit interdit, la journaliste analyse : « La pomme d'Ève, c'est son corps lui-même, il est toujours trop offert, jamais assez dissimulé. » Les personnages de Galatée, de Cassandre et de Salomé sont aussi décryptés, comme celui de Lolita. L'adolescente lascive et dévêtue apparaît comme un archétype de l'allumeuse, comme en témoignent la réception du roman de Nabokov ou les institutions elles-mêmes : dès le collège, en établissant des règles autour des seuls vêtements pour jeunes filles, on associe d'emblée l'adolescente à une source potentielle de désir masculin dont elle serait coupable au regard de son comportement aguicheur. Christine van Geen cite ainsi Didier Valentin, auteur de Pubère la vie. À l'école des genres (Le Détour, 2023) : « À partir du moment où une fille plaît, il y a suspicion de manipulation de sa part. »

Convoquant fascination, rejet, frustration, faux romantisme et misogynie, le personnage du pygmalion, - dont Christine van Geen rappelle que le terme a été utilisé par le réalisateur Christophe Ruggia pour qualifier « l'erreur » de sa relation avec Adèle Haenel lorsqu'elle avait 12 ans -, est tout à fait éclairant : « Attention, les pygmalions adorent les femmes ! Mais les femmes apparitions, irréelles, coupées de leurs propres désirs, sages comme des images fabriquées par eux. »

L'autrice cite Despentes - « La séduction, ça te dissocie » - et fait état des affaires actuelles du mouvement #Metoo, de Flavie Flament à Judith Godrèche. Alors que l'ajout dans la loi de la notion de consentement dans la définition du viol fait débat, l'essai de Christine van Geen rapporte des situations et des dires de procès dans lesquelles des femmes victimes sont présentées comme des séductrices qui, après tout, méritent ce qu'elles subissent. En juin 2023, lors du procès pour le féminicide de Shaïna Hansye, 15 ans, dont le corps a ensuite été brûlé par son assassin, 17 ans, l'avocat de la défense présente précisément la défunte comme une « allumeuse », pour l'incriminer. « Se réapproprier les corps, c'est aussi réinvestir les mots », poursuit Christine van Geen, invitant à la parole pour « faire cesser le silence de la honte ».

Christine Van Geen
Allumeuse. Genèse d'un mythe
Seuil
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 20 € ; 192 p.
ISBN: 9782021544053

Les dernières
actualités