Avant-portrait

C’est pas l’homme qui prend la mer, c’est la mer qui prend l’homme", chantait Renaud. Une phrase dont Christophe Paviot pourrait faire sa devise. Parce qu’il est breton bretonnant ("J’avais même choisi l’option breton au bac, sauf que je n’ai pas le bac !" s’amuse-t-il), mi-rennais mi-quiberonnais, et qu’il a pris la tangente, à 20 ans, après avoir été tenté de faire Saint-Cyr pour devenir pompier, comme son père.

En 1987, plutôt que d’entrer dans la publicité, carrière pour laquelle l’un de ses copains de régiment lui avait assuré qu’il était fait, le jeune Christophe s’embarque avec le père de son meilleur ami pour faire du "promène-caillou" : les Canaries, Recife, Buenos Aires, le cap Horn, Valparaiso… Le nom fait rêver. Il décide de rester. Il travaille comme pêcheur, puis docker. "Rien d’enchanteur à tout ça, raconte-t-il, c’était une vie dure, violente."

Alors, "goodbye farewell". Il suit une Australienne jusque dans son île, en porte-conteneurs. A Sydney, cet adepte de voile et de kite mène la dolce vita des surfeurs, puis, à Darwin, travaille dans une ferme de crocodiles, "des salties, les plus dangereux. Je ne faisais pas le malin !". Il aurait pu continuer comme ça, à flamber sa vie. Mais un autre destin l’attendait, pour lequel il avait "emmagasiné pas mal de choses".

Retour au bercail, donc, au début des années 1990. "Je m’en souviens, car j’ai vu Nirvana aux Transmusicales de Rennes, le 7 décembre 1991." Inoubliable. Paviot consacrera plus tard un roman à Kurt Cobain, Cassé (Naïve 2008), où il imaginait que le groupe de Seattle n’était jamais parvenu à percer. Se souvenant de la prédiction de son pote, il songe à travailler dans la pub. Fait des stages tout en commençant à écrire de petites histoires. "Ce fut ma période «clandestine». Jusqu’à ce que je descende à Paris, qui me faisait un peu peur." Le voici embauché dans sa première agence, en 1992. Vingt ans après, il est DA chez Publicis. Le métier lui plaît, et il assure confortablement la matérielle. Mais, à terre, l’albatros "suffoque". C’est de l’écriture qu’est venu son salut.

Fan de musique, aficionado des Inrocks, Paviot rédige des vraies-fausses lettres qu’il poste à son magazine préféré, et qui sont publiées. Sans avoir rien planifié, il prend goût à la fiction et se lance dans un roman "schizo, assez violent, dont l’héroïne volait et maltraitait un bébé". Ne connaissant personne dans le milieu, il envoie son manuscrit à trois éditeurs dont la production l’intéressait. P.O.L, qui refuse, non sans avoir hésité. Florent Massot, qui refuse aussi, mais lui envoie sa fiche de lecture. Et Le Dilettante, qui ne répond pas ! L’écrivain en herbe comprend le message, refait entièrement son roman, et l’expédie, cette fois, à une douzaine d’éditeurs, "rien que des petits", dont Le Serpent à plumes de Pierre Astier. Bingo ! Les villes sont trop petites paraît en janvier 1999. Bien accueilli par la critique, il se vend à 2 000 exemplaires environ, est repris en J’ai lu (2002). Il enchaîne avec Le ciel n’aime pas le bleu, toujours au Serpent (2000) puis en J’ai lu (2004).

Des livres rudes, atypiques.

"Je pensais rester là toute ma vie", dit-il. On connaît la suite. La maison est rachetée par le Rocher dans des circonstances contestées. Paviot fait partie des auteurs qui se mutinent, mais se retrouve sans terre d’accueil. Au gré de rencontres, il va publier Blonde abrasive, sur Marilyn Monroe, "mon livre préféré", dit-il, puis Devenir mort, "une mise à nu où je rédigeais ma nécrologie de mon vivant" (tous deux chez Hachette Littératures, en 2005 et 2007). Des livres rudes, atypiques, qui lui valent un public d’amateurs, que l’éclectisme ne rebute pas. "Je détestequ’on me mette dans une case", précise Paviot. On s’en doutait un peu.

Après un come-back au pays pour deux livres chez Dialogues, la célèbre librairie brestoise, Mélancolie de la masse critique (nouvelles, 2010) et La guerre civile est déclarée, un roman sur Rennes (en 2013), le voici chez Belfond, cornaqué par Juliette Joste, avec Aujourd’hui pour toujours, une "comédie romantique à l’américaine" qui se passe à Hollywood et à Martha’s Vineyard. "Mes parents détestaient mes livres. Ma mère, surtout,qui m’avait demandé d’écrire, pour une fois, une histoire sentimentale. C’est fait, avec ce roman différent des autres, plutôt féminin. J’assume !"

Le fils prodigue, rangé de l’aventure ("Maintenant que j’ai une fille de 2 ans, je ne surfe plus !"), calé dans son métier, s’est ancré dans l’écriture, qui lui fournit son oxygène : "J’ai plein d’idées et je peux travailler sur deux textes à la fois, dit-il. Je vais bientôt m’y remettre."Kenavo.

Jean-Claude Perrier

Aujourd’hui pour toujours, Christophe Paviot, Belfond, 284 p., 19 euros, ISBN : 978-2-7144-5588-8.

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