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Cinq éditeurs mastérisés

Cinq éditeurs mastérisés

Depuis plus de vingt ans, le mastère Management de l’édition de l’ESCP-Europe et de l’Asfored forme les prochains cadres du secteur. Prisée dès son lancement pour le côté business, gestion, et aujourd’hui pour le numérique, la formation accouche chaque année de près de vingt nouveaux professionnels, qui ont une vision décomplexée de l’édition. Portraits de cinq d’entre eux.

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Par Anne-Laure Walter,
Créé le 01.11.2013 à 10h33 ,
Mis à jour le 09.04.2014 à 17h41

Ils sont aujourd’hui plus de 400 et s’appellent entre eux les « mastériens ». Ce n’est pas une secte - même s’ils ont dû débourser une dizaine de milliers d’euros pour suivre le cursus - mais une formation d’un an, le mastère Management de l’édition, créé en 1991 à l’Ecole supérieure de commerce de Paris avec l’Asfored. Un programme né d’une rencontre, à la conférence des grandes écoles, entre Serge Eyrolles, alors président du SNE mais aussi à la tête de l’Ecole spéciale des travaux publics, et Marie-Pierre Fenoll-Trousseau, directrice scientifique à l’ESCP-Europe. « La demande venait du milieu qui cherchait des salariés, explique la directrice de l’Asfored, Aïda Diab. Et, pour avoir une formation pragmatique de terrain, il fallait associer la profession. » Marie-Pierre Fenoll-Trousseau se souvient qu’à l’époque « il n’y avait pas de formation au management dans l’édition. C’était surtout des étudiants en lettres qui arrivaient sur le marché du travail ». Aujourd’hui encore, le mastère reçoit toujours autant de dossiers de candidats des filières lettres et sciences humaines mais panache les profils en prenant aussi des scientifiques (peu), des IEP, ESC ou des diplomés en droit. Cette année encore, la 23e promotion, aux trois quarts féminine, comprend 52 % d’étudiants ayant suivi un cursus lettres ou philo et 12 % venus des sciences humaines, contre 16 % diplômés en gestion et 4 % issus d’études juridiques. Chaque promotion comporte aussi des étudiants étrangers et des actifs qui veulent se reconvertir (surtout des professeurs, mais aussi des commerciaux, des financiers ou, dernièrement, une tradeuse en quête de sens) ou évoluer dans leur entreprise. Le plus étonnant reste ce missionnaire portugais de la promo 1998 qui avait fait financer sa formation par sa congrégation pour aller éditer des bibles en Afrique !

 

 

Littéraires polyvalents

L’objectif est de former les futurs managers capables de gérer des projets, des départements et même des maisons. « Ce mastère apprend à devenir un chef d’orchestre et, pour cela, il faut bien connaître tous les postes, explique Marie-Pierre Fenoll-Trousseau. Ce n’est pas un mastère littéraire. D’ailleurs, la littérature générale ne propose que peu d’emplois. » L’école manque curieusement de statistiques, mais 30 % des stages de fin d’études se transforment en contrats, selon Aïda Diab. La plupart des étudiants trouvent, dans l’année qui suit la formation, un poste « avec moins de CDI en période de crise, mais des CDD renouvelés », d’après Marie-Pierre Fenoll-Trousseau. Quarante pour cent dans l’éditorial, mais aussi au contrôle de gestion, au marketing, à la cession de droits et, depuis ces sept dernières années, dans le numérique, comme Florent Souillot au développement numérique de Flammarion ou Emmanuelle Henry chez Amazon France.

 

Ces profils de littéraires polyvalents qui ne se pincent pas le nez quand on parle marketing, numérique ou fabrication et qui savent faire un compte d’exploitation ou un contrat d’auteur sont appréciés des DRH des groupes et de l’édition technique, qui peinent à trouver des spécialistes. L’effet de réseau joue aussi. D’ailleurs, une association d’anciens élèves, Cercle édition et management, a vu le jour en 2007. Du coup, certaines maisons sont des nids à mastériens, comme Dunod, qui compte deux directeurs éditoriaux sur quatre issus de cette formation, ou Leduc.s, dont la direction éditoriale est partagée par deux anciennes diplômées. Dans les instances dirigeantes des maisons se retrouvent beaucoup de professionnels passés par l’école, comme Valérie Miguel-Kraak à la direction éditoriale de Pocket, Catherine Saunier-Talec à la tête d’Hachette Pratique, mais aussi dans les institutions Geoffroy Pelletier à la direction générale de la Société des gens de lettres, Karen Politis au Bief, Camille Mofidi au SNE, Charlotte Ria à l’Institut français à Pékin ou chez les prestataires périphériques à l’édition, Cédric Sylvestre, directeur général de Numen qui numérise des contenus, notamment pour la BNF. Mais la meilleure publicité pour cette formation reste Guillaume Dervieux, issu de la toute première promotion et aujourd’hui P.D-G de Magnard-Vuibert et directeur général d’Albin Michel. Il témoigne, dans un texte adressé à l’école : « L’édition reste un secteur étroit où le turnover est faible ; il faut donc favoriser tout ce qui peut contribuer à nous ouvrir aux autres métiers du livre, aux autres secteurs de l’économie, ici, ailleurs, profiter des avancées d’autres domaines ou d’autres disciplines. » 

Cinq portraits

Karine Bailly de Robien
directrice éditoriale chez Leduc.s.
Promo 2005.

Sous ses airs timides et réservés, l’hyperactive Karine Bailly de Robien n’a pas froid aux yeux en matière d’édition. Directrice éditoriale chez Leduc.s, elle fourmille d’idées et accompagne les lancements d’événements originaux, comme un tractage, le 8 mai, « Je passe ma journée au lit » pour La femme qui décida de passer une année au lit de Sue Townsend (Charleston, février 2013), ou la planification à la rentrée d’une manifestation de « parfaits fayots » devant le Medef, à l’occasion de la parution d’un titre d’humour sous la marque Tut-tut. « On ne fait plus de l’édition à la papa. L’éditeur ne se contente pas d’envoyer des manuscrits à une imprimerie, explique- t-elle. Nous sommes devenus des producteurs d’auteurs, comme pour la musique, avec l’accompagnement que cela implique. » La jeune femme de 33 ans est sortie de l’ESCP-Europe en 2004, après Sciences po-Paris. « Au mastère, on touche à tout, du contrôle de gestion à la fabrication, du contrat type au marketing. Par la suite, on se sent autorisé à tout faire dans l’édition. » Alors qu’elle est en stage de fin d’année en marketing chez Gallimard Jeunesse, un professeur lui signale que First recrute. Elle y décroche un CDI et est assistante d’édition pendant trois ans. En 2007, elle part chez Leduc.s comme responsable éditoriale et de la fabrication puis revient au bout de trois ans chez First pour diriger le pôle pratique. Elle travaille à distance depuis New York où elle a suivi son mari, puis retourne en France et repart chez Leduc.s. « Il ne faut pas se braquer sur l’édition littéraire, il faut être très ouvert sur les domaines et sur les postes : la fabrication, le marketing, le numérique, la presse. On nous apprend à mettre un pied dans l’édition, les compétences font le reste. »


Vincent Piccolo
responsable du développement numérique au groupe La Martinière.
Promo
2007.

C’est par le biais du numérique que Vincent Piccolo, au sortir d’une école de commerce (ESC Grenoble), s’est intéressé à l’édition. « J’ai toujours voulu lier business et culture, se souvient-il. Au départ, je voulais travailler dans le spectacle vivant, mais j’avais envie d’une activité plus managériale, et un stage à la direction commerciale d’Albin Michel m’a confirmé mon intérêt pour l’édition. Quand les problématiques numériques me sont apparues, j’ai compris que c’était cela qui m’intéressait. » Dès sa sortie de l’ESCP-Europe, il trouve le stage qu’il souhaite auprès de Clément Laberge, au développement numérique d’Editis. « Le mastère a aiguisé mon goût du management technologique. J’aime la stratégie et la prospective. J’avais intérêt à me positionner sur cela, car je voulais avoir un profil international, plus exportable. » Le stage chez Editis se mue en CDD. Après le rachat de la maison par Planeta, Vincent Piccolo part pour le département numérique de La Martinière, au moment où la question de la diffusion-distribution numérique se pose. Il retrouve Clément Laberge, alors chez De Marque, qui devient son prestataire avec la création d’Eden Livre. « L’avenir de l’édition ? Il faut trouver le support qui correspond le mieux au contenu et à sa cible. Le plus complexe sera de savoir vendre ces produits-là. Ce que je veux, c’est que dans vingt ans il y ait de nombreux contenus éditoriaux et pas juste trois revendeurs qui commercialisent des livres tous identiques. Que la vie des idées perdure, à la française et non uniquement dans une logique de divertissement. » 


Gabriela Kaufman
directrice de la coordination éditoriale chez Hachette International.
Promo 1993.

Gabriela Kaufman était agent littéraire chez Michelle Lapautre lorsqu’une amie lui parle d’un mastère qui venait de voir le jour à l’ESCP-Europe. « Il me manquait une vision générale du métier, raconte-t-elle. Entre un stage au service des cessions d’Albin Michel et l’agence, je ne connaissais que les droits et j’étais tentée par une formation business adossée à une école de commerce. » En effet, elle possédait alors une solide formation en lettres, avec un DEA de linguistique, maîtrise de lettres modernes. Sa promotion, la deuxième, avait pour parrain Pierre Marchand, et c’est chez Gallimard Loisirs qu’elle décroche son stage de fin d’études en sachant qu’un poste pour le tourisme allait se créer. « Mon premier emploi a été une opportunité que j’ai provoquée grâce au mastère. Beaucoup de professionnels viennent à l’école, et il s’agit donc d’essayer de rentrer en relation avec des gens en place. Une des forces, au-delà des enseignements, est la rencontre d’un premier réseau. » Elle restera douze ans dans la maison, aux droits, à l’illustré (hors jeunesse) et au tourisme. Elle part en 2005 au Seuil Images, où elle prend la tête du département jeunesse, beaux livres et pratique. Au bout de trois ans, elle tente une expérience chez Disney au service « publishing » avant d’entrer chez Hachette en 2010 pour s’occuper de la coordination éditoriale au développement international, un département qui développe la société dans les pays émergents par des joint-ventures comme Hachette-Antoine au Liban. 


Julia Vernier
stagiaire chez Calligram.
Promo actuelle.

Agrégée de lettres, admissible à un poste de lexicographe au service du dictionnaire de l’Académie française et professeure de français et latin pendant trois ans, Julia Vernier a choisi, sur un coup de tête, de présenter son dossier au mastère. Un an plus tard, elle est en Suisse pour un stage de quatre mois chez Calligram et travaille sur un projet numérique d’adaptation de la série jeunesse Max et Lili, sous forme de pièce de théâtre. « On m’aurait dit, l’an passé, que je travaillerais sur le numérique, ça m’aurait semblé impossible, moi qui n’avais jamais lu sur un écran, s’amuse-t-elle. Mais il y a des potentialités incroyables, notamment pour la pédagogie, et le produit numérique va de pair avec le papier. C’est toujours un projet éditorial qui est pensé. » Chez Calligram, la jeune femme de 29 ans touche à plusieurs fonctions, correction des manuscrits, suivi éditorial, et est familière maintenant des questions d’impression, de fabrication, de prix de revient ou de droits d’auteur. Mais c’est sur le projet numérique, dans un pays où beaucoup de classes sont équipées de tableaux interactifs, qu’elle travaillera principalement jusqu’à la fin de l’année, son stage se transformant en CDD. « Très tôt, on nous a dit à l’ESCP-Europe que c’était dans le numérique qu’il y avait du travail. J’avais deux choix : m’effrayer de toutes ces avancées technologiques, car, vu ma formation, je suis forcément très attachée au papier, ou bien, pragmatiquement, m’y mettre et découvrir un domaine finalement assez passionnant car peu défriché.» 


François Bachelot
directeur éditorial sciences et techniques de Dunod.
Promo 1998.

Parmi ses diplômés, le mastère compte un ingénieur. François Bachelot est le scientifique de la promo 1998, où il est arrivé après l’Ecole des mines de Nancy. « La question n’est pas "pourquoi l’édition ?" mais "pourquoi ingénieur ?". J’ai suivi le cursus classique d’un élève doué en sciences : bac C-prépa-école d’ingénieur. Quand je me suis demandé ce que j’allais faire de ma vie, je me suis rendu compte que les compétences d’un ingénieur résident finalement dans la gestion de projet et que je préférais le faire en appliquant les sciences aux livres plutôt qu’aux avions. » Souhaitant travailler dans une entreprise culturelle sans « renier les sciences et techniques », il réalise son stage de fin d’études chez Dunod comme éditeur junior en sciences de l’ingénieur. Il est embauché à l’issue de son stage. En 2005, il est contacté pour prendre la direction éditoriale de Weka, poste qu’il quitte au bout d’un an. Il se retrouve chez Hachette à la tête du Guide des vins pendant cinq ans avant de revenir en mai 2011 chez Dunod, comme directeur éditorial sciences et techniques. « L’école tisse un patchwork d’expériences intéressantes et nous donne à voir toutes les facettes d’un projet, et pas seulement l’éditorial. J’ai appris le marketing, le juridique ou la gestion, ainsi que la création d’un compte d’exploitation ou d’un contrat d’auteur. Ce sont des bases dont je me sers encore tous les jours. »

 


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