5 avril > science-fiction France > Karoline Georges

Je peux douter de tout sauf du fait que je doute. Voilà la base du solipsisme. Karoline Georges va au-delà du doute cartésien. Même de sa conscience propre, "[s]on œil au cerveau", le personnage de Sous béton, le nouveau livre de l’auteure québécoise, semble être sceptique: "Qu’est-ce que ce je, pensais-je ? Cet œil qui observe depuis l’intérieur, à travers le corps tout entier ? Cette présence interne, silencieuse, qui n’est ni le corps ni l’émotion, qui forme un noyau qui se sait vivant, qui écoute les agitations du cerveau, qui remarque les boucles de mots qui se répètent ?"

La personne qui fait entendre sa voix dans Sous béton narre son expérience du monde. Si l’on peut parler de monde pour l’univers de claustration dans lequel elle évolue. Il y a "le père", "la mère" et cet étrange narrateur (quel est son sexe?). L’existence de ce dernier se réduit à son enfermement au 5 969e étage dans un bâtiment sans fenêtres: "l’Edifice". Dès que germent en lui des ferments de vie intérieure, on lui dit que c’est un problème d’"ego dysfonctionnel". L’intériorité est un "résidu d’anomalie mentale barbare", martèle la mère. "Tu n’es qu’une cellule quelconque de l’Edifice", assène quant à lui le père, "qui frappait [le] front [du narrateur] contre le béton pour mieux y planter son explication".

Vie dévitalisée, rapports "sociaux" mécaniques, "nutriments" pris de manière artificielle… Karoline Georges, qui est également artiste virtuelle et met en scène son avatar 3D Anouk A., décline ici la grammaire de la littérature d’anticipation, post-apocalyptique, avec ambiance de paranoïa orwellienne doublée de terreur de désastre écologique et de phobie d’une vie sans biologie dans un monde de plus en plus dématérialisé. Si dans de précédents ouvrages, notamment De synthèse (Alto, 2017), où il était question d’une femme qui veut devenir image - Sous béton est son premier livre paru chez un éditeur français -, elle abordait tous ces thèmes, le point de départ ici est vécu. "Au tournant du millénaire, explique-t-elle, le Québec a été le théâtre d’une des grandes catastrophes naturelles de l’histoire canadienne." Hébergée durant la tempête avec d’autres dans une usine de désossage entre des carcasses et des murs de béton, elle s’est posé la question: "Qu’advient-il du devenir de l’être lorsqu’il est séquestré dans un environnement qui l’oppresse de toutes parts ?" Réponse en fiction: Sous béton. Un vertige entêtant. S. J. R.

30.03 2018

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