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Collapsologie : Le filon éditorial du "monde d'après"

Jonathan Attias, qui a publié La désobéissance fertile en février 2021, en famille devant sa cabane. - Photo © MORGAN BISSON

Collapsologie : Le filon éditorial du "monde d'après"

Révélatrice d'une crise écologique et sociétale, la pandémie de Covid-19 a remis sur le devant de la scène les théories de l'effondrement. En réponse aux failles du système, se développe une abondante offre éditoriale, porteuse de « solutions ». L'objectif ? Gagner en autonomie, alimentaire notamment, mais aussi repenser notre monde en s'inspirant de la nature et en favorisant les approches interdisciplinaires. 

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Par Par Souen Léger,
Créé le 10.08.2021 à 13h00

Effondrement. » Le mot fait peur, jusque dans les maisons d'édition, qui le manient avec prudence. Pourtant, il se popularise, à la faveur de la crise qui révèle la fragilité de notre système. « Le coronavirus montre bien que nous entrons dans le siècle des catastrophes globales », déclarait en début d'année Pablo Servigne, cofondateur du concept de « collapsologie » avec Raphaël Stevens dans Comment tout peut s'effondrer (Le Seuil, 2015), écoulé à plus de 130 000 exemplaires et publié en poche chez Points, le 20 mai, avec un tirage de 40 000 volumes.

Se préparer au changement

Loin de s'essouffler, la collapsologie, qui étudie les risques d'un effondrement de notre civilisation industrielle, s'affirme comme un champ éditorial en pleine expansion, porté par de médiatiques figures de proue. Bien que critique sur la dimension « effondriste » de ce mouvement, l'auteur de science-fiction Alain Damasio, très entendu au cours de cette année aux accents dystopiques, a par exemple contribué à l'ouvrage Aux origines de la catastrophe, paru fin 2020 aux Liens qui libèrent. « Ils sont parfois excessifs, mais les collapsologues n'ont pas tout à fait tort : nous sommes sur des conjonctions de crises qui deviennent extrêmement dangereuses », considère Henri Trubert, directeur de la maison où ont paru plusieurs ouvrages sur le sujet.

Tandis que le corpus théorique autour de la collapsologie s'enrichit, diffusé par les maisons de sciences humaines (Puf, L'Harmattan...), les théories de l'effondrement gagnent le grand public et les catalogues de maisons généralistes ou orientées vers le Pratique, à l'instar de Rustica qui a publié en mai 2021 La collapsologie heureuse : l'art de se préparer au changement ! « Si demain on ne peut plus se déplacer, si les aliments ne nous viennent plus du bout du monde, qu'est-ce qu'on fait ? La crise a démocratisé ces problématiques et désormais, l'écologie englobe tout, permettant de décloisonner les publics et les traitements éditoriaux », explique Elisabeth Pegeon, directrice éditoriale de Rustica et de Vagnon, qui développe le thème de la survie.

Crédibiliser les alternatives

Chez Fleurus comme chez Larousse, les éditrices creusent en effet le sillon de l'autonomie de la personne sur tous les domaines de la vie pratique. « Un vrai changement de mentalité et de mode de consommation s'est révélé, ainsi qu'un certain art de ralentir », souligne Nathalie Viard, directrice éditoriale chez Larousse.

Ralentir, pour faire un pas de côté, oser une vie en autosuffisance ou presque, à l'image de Jonathan Attias, qui a publié La désobéissance fertile en février 2021, un ouvrage hybride entre essai militant et guide pratique. « On sent une appétence de la jeune génération pour les sciences humaines qui est liée au mur qui se rapproche : ils ont envie de se colleter avec le problème de la dissonance cognitive et de comprendre pourquoi on ne bouge pas », analyse Laure-Hélène Accaoui, son éditrice chez Payot. En partageant les témoignages de ces nouveaux explorateurs - l'ermite Jacob Karhu chez Flammarion, le trappeur Kim Pasche chez Arthaud - tournés vers le partage plutôt que vers la marginalité, les éditeurs rendent ces alternatives crédibles.

Alors, la perspective d'un effondrement, ou d'un délitement progressif de nos sociétés, n'est plus seulement une source d'angoisse. Elle devient aussi une opportunité pour dessiner « le monde d'après », peut-être même Un nouveau monde plus humain ? (Éditions du bien commun, juin 2021).

Renouer avec la nature

« On sait que cette société doit se métamorphoser : dès lors, soit on est dans la peur soit on est dans l'inspiration », estime Anne-Sylvie Bameule, directrice du département Art, Nature et Société d'Actes Sud qui accueille la collection « Domaine du possible » dirigée par Cyril Dion. Début 2021, comme nombre de ses pairs, l'éditrice observe une flambée des ventes sur les ouvrages « Nature », qui figurent parmi les plus forts réassorts de la maison : Être un chêne (février 2021, 23 000 exemplaires vendus), L'incroyable pouvoir du souffle (janvier 2021, 17 000 ex.) et Autobiographie d'un poulpe (avril 2021, 15 000 ex.).

Pour imaginer un futur commun dans un contexte de crise écologique, les solutions se trouveraient donc dans la nature. En septembre 2021, Flammarion publiera d'ailleurs Le monde après, de Jérôme Delafosse. « Il y montre que des solutions existent déjà, qu'il suffit de retrouver notre lien originel avec la nature car nous sommes un tout », observe Véronique de Bure, éditrice chez Flammarion.

Et puisque nous ne sommes qu'un, l'heure est aussi au rassemblement des forces et des disciplines. Tel est l'objet d'« Agir pour le vivant », un festival organisé par Actes Sud dont la seconde édition se tiendra du 22 au 29 août 2021 à Arles. Événements, films, livres...

« Aujourd'hui, il y a une convergence de tous ces moyens pour arriver à susciter la réflexion et la reprise en confiance des gens », juge Anne-Sylvie Bameule. « La question des transitions n'est pas nouvelle mais il y a un moment fédérateur », admet pour sa part Henri Trubert qui organise « Le Parlement des liens ». Et de poursuivre : « Ce projet, on l'a depuis trois ou quatre ans. Tout à coup, ça a pris comme le feu dans la savane ».

À l'aube de ce peut-être « nouveau monde », les éditeurs donnent la parole à quatre grandes familles, engagées dans cette transformation des modes de vie et de pensée.

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