1er roman/France 3 janvier Joseph Ponthus

D'abord et surtout il y a la forme du texte : des phrases composées sur la page comme des vers. A la ligne, le premier roman de Joseph Ponthus, ancien éducateur spécialisé, coauteur de Nous... la cité (Zones, 2012), c'est à la fois cette mise en page à la manière d'un long poème sans rime, et la position de l'auteur narrateur dans son boulot d'intérimaire, devant les chaînes de production des différentes usines bretonnes dans lesquelles il loue ses bras plus d'une année durant. Le journal d'usine arraché à la fatigue exténuante des jours et des nuits à trier des tonnes de crevettes importées, à égoutter du tofu, à démouler du poisson pané puis plus tard, à l'abattoir, à nettoyer le sang des bêtes au jet sur les chaînes de découpe, à pousser les carcasses suspendues sur des crochets... Ça se passe à Lorient où le narrateur qui approche de la quarantaine a suivi la femme qu'il aime. Ce n'est pas un établi, pas un sociologue en observation participante, ni un reporter en immersion ou un militant anti-spéciste. S'il devient ouvrier, c'est pour « ramener des sous ». 

A la ligne est une complainte de l'intérimaire qui tente d'arracher du beau à un quotidien qui en manque tant, du sens à l'absurdité. C'est une litanie, une chanson de geste où les blancs entre les paragraphes œuvrent comme une respiration, ouvrent une fenêtre pour aérer la puanteur de l'usine. Ils rendent ce refrain en boucle de la répétition - embauche/débauche - et opposent en même temps à la cadence abrutissante des jours un rythme propre qui fait obstacle à la soumission au temps, peut-être la plus aliénante des soumissions de l'ouvrier. D'ailleurs, on chante tout le temps à l'usine. Dans sa tête ou à pleins poumons. « Trenet me sauve le travail et la vie tous les jours/que l'usine fait. » La littérature vient aussi à la rescousse et l'ancien étudiant en hypokhâgne a des références. Il en a besoin pour, au delà du « glauque de l'usine », trouver la joie paradoxale, celle du boulot physique, la « mystique presque » de certains gestes automatiques, se nourrir de la force réconfortante des rituels pause-café-clope, pour alimenter l'espoir que c'est provisoire. A sa mère, il confie : « Peut-être penses-tu que c'est du gâchis d'en arriver/là à l'usine/franchement je ne crois pas bien au contraire/Ce que tu ne sais sans doute pas c'est que c'est/grâce à ces études que je tiens le coup et que j'écris. »

Joseph Ponthus
A la ligne
La Table ronde
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 18 euros ; 272 P.
ISBN: 9782710389668

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