C’est une femme qui part un beau matin, et qui laisse là sa fille. Cette femme c’est Isabel Doutreluigne ; enfin, non, c’est Isabelle ; Isabelle qui le 23 avril 2004 aura laissé des traces et sa belle béance, ça et rien que ça à sa fille, Justine Lévy.
Le 23 avril 2004 ça n’est pas le village, moins encore le tout Paris, qui voyait disparaître Isabel ; c’est une fille qui perdait sa mère, Isabelle, emportée par un cancer. La même année pourtant, c’est la vie qui triomphe : une fille et un premier roman, Le rendez-vous (Plon).
Plus de 20 ans après, ce 7e livre de Justine Lévy marque, si ce n’est la guérison, une fin de parcours. Le dossier de notre enquêtrice semble se clore : maman est morte, c’était peut-être hier, mais ce ne sera plus demain.
Demain restera, non plus la blessure et le tintamarre de la peur, de la douleur, mais seulement la fine fêlure, celle qui marque les corps et leurs virtualités, les fantômes qui suivent nos actes, guident nos gestes…
Réconciliation impossible
Comme Justine Lévy le dit si bien, c’est qu’Isabelle n’en finit pas de mourir, vivante déjà ; vivante encore, la mort était partout, même avant la maladie, le geste, la mort, la vie. De la disparue demeurent néanmoins la puissance de sa vie, son drame et sa violence.
Ce qui intrigue autant chez ces deux femmes si bien faites pour le monde, c’est le retour constant à l’incompatibilité ; la fêlure file, s’absout et se dissout dans tous les péchés, surtout et même ceux qui n’étaient pas les leurs.
Dans la description de l’horreur que sa mère lui a fait vivre petite fille, Justine ne se réconcilie pas, elle récupère la part non maudite, la part de vie, l’autre part de la liberté, la part d’amour. De la quête de « compréhension », rapidement l’écriture conduit au réel. L’absence, le mensonge constant des autres, les « on » qui disent… et suit la vérité, même rapiécée, les lectures de signes, la maladie de l’autre, l’autre si soi. Le moindre geste est doublé du démon de la mort : comme sa mère, Justine peut dormir tout le jour, et comme pour elle, la moindre pratique est addictive. Comme elle, Justine a aussi souhaité mourir au moins autant qu’elle aime la vie.
Le chemin autofictionnel de Justine Lévy, sur ce point, semble se clore. Elle a talonné toutes les vies, mesuré ses mains et ses pieds de petite fille dans toutes les empreintes ; elle ne sera jamais guérie et pleurera encore sa mère. Il n’est plus seulement question d’une blessure, du déversoir de sang et de mots dans Une drôle de peine mais bien déjà, et demain peut-être, de la cicatrice autour de laquelle apprendre à danser.