Avant-critique Bande dessinée

Pas facile de se libérer du poids de l'Histoire, surtout quand il s'agit de celle de l'Afrique du Sud. Afrikaner, cocréateur en 1992 avec Joe Dog du collectif de bande dessinée sud-africain Bitterkomix et de la revue du même nom, Conrad Botes aborde dans ses récits l'histoire de son pays et les conséquences de l'apartheid sur lui-même et sur ses compatriotes. Dans ce nouveau recueil publié par les éditions Cornélius, il convoque la Bible pour évoquer la violence et les troubles qui perdurent dans les mentalités. Adolescent dans les années 1980, Conrad Botes a vécu de l'intérieur la fin de l'apartheid. Dans le premier récit du recueil, « Le bon berger », il retrace sa jeunesse, marquée par le poids de la religion et une brutalité omniprésente, dans sa famille comme à l'école. Il expose sans fard les mensonges et l'hypocrisie des adultes, les contradictions de l'éducation religieuse et de ceux qui la dispensent.

À travers des saynètes lapidaires mais percutantes, il se remémore des moments marquants et formateurs, comme sa rencontre décisive avec Joe Dog, sa détermination à éviter le service militaire, ses études d'art, l'influence de Goya sur son travail - que l'on peut vérifier tout au long de l'album... Les récits suivants, muets, sont quant à eux racontés et représentés de façon beaucoup plus métaphoriques, multipliant les références bibliques et symboliques, et donnant ainsi une dimension universelle à sa réflexion, libre de tout jugement. On y croise des hommes à l'âme tourmentée qui ne savent pas s'ils doivent se repentir de leurs actions passées, tergiversent, se tournent vers la religion qui souvent finit par les trahir. Étouffés par le désespoir, incapables de trouver la rédemption, ils errent dans des déserts où la mort et la peur sont omniprésentes, ne sachant plus s'ils sont en plein cauchemar ou dans la réalité.

« David et Goliath », sous haute influence de Frans Masereel (un des maîtres des woodcut novels, ces romans graphiques muets en gravure sur bois, engagés, du début du XXe siècle), témoigne de préoccupations plus sociales. L'auteur y met en scène la trahison d'un ouvrier par son avocat sur fond de combat inégal entre mineurs asservis et patrons avides. Le trait sombre et expressionniste de Conrad Botes achève de plonger dans une profonde noirceur ces récits implacables.

Conrad Botes
Le pays de Judas Traduit de l'afrikaans par Catherine du Toit
Cornélius
Tirage: 2 500 ex.
Prix: 24,50 € ; 120 p.
ISBN: 9782360811977

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