Avant-Portrait Markus Gabriel

Son père est mort deux jours avant Noël, il se savait partir, pas si tôt sans doute. « Les poumons étaient atteints, on n'a rien pu faire, ça s'est passé très vite. » Markus Gabriel est quand même souriant, affable, plein de vivacité. A la mi-janvier, un bébé, sa deuxième fille, devrait arriver. La génération des hommes est semblable à celle des feuilles. Le vent répand les feuilles sur la terre, et la forêt germe et en produit de nouvelles : les vers d'Homère sont idoines.

Markus Gabriel est un vrai existentialiste, philosophe dans la vie comme il l'est dans ses livres. Il signe en février son troisième ouvrage traduit en français, Pourquoi la pensée humaine est inégalable (JC Lattès). Le Mozart de la philosophie allemande avait eu l'autorisation du doyen de Heidelberg de passer son doctorat « en quatre ans, directement », sans les diplômes intermédiaires. Comment était le wunderkind quand il était plus jeune ? Un rat de bibliothèque ? A part quelques questions métaphysiques du genre « qu'est-ce que la réalité ? » lorsque, à 10 ans, il reçoit une goutte de pluie dans l'œil et voit le lampadaire dans la rue en double, non. Adolescent, Markus est un skateur fan de hip-hop. Son intérêt pour la matière de l'esprit découle d'un accident : « Je me suis cassé la cheville en skate, ça m'a cloué au lit, j'ai lu de la philo. »

Thèse en poche, il est nommé professeur d'université à Bonn, il a à peine 30 ans. Aujourd'hui, il a repris la direction du Centre international de philosophie qui invite des universitaires du monde entier et fait se croiser les disciplines, sciences, philosophie. Mais Dr Markus Gabriel n'a rien d'un Herr Professor, on est tout de suite tenté de l'appeler Markus, on lui dirait « Du » (tu), dût-on s'adresser à lui en allemand. Avec lui on se sent d'emblée on first-name terms, comme disent les Anglais, car avec lui on pourrait parler dans la langue de Shakespeare comme dans celle de Molière ou de Dante, mais aussi en hindi (« Mon ex était la fille de l'ambassadeur de l'Inde »), en chinois (il a séjourné à Hong Kong où il a pris des cours de mandarin)... «"Wei shenme shijie bu cunzai ?, Pourquoi le monde n'existe pas?", je viens de donner en Chine une conférence sur mon premier bouquin en chinois », dit-il le plus simplement du monde

Une infinité de sens

Markus Gabriel est le héraut de ce qui a été nommé « le nouveau réalisme ». En fait, le nom - pas tant un concept qu'un état des lieux de la pensée contemporaine - a été trouvé au hasard d'une conversation avec son confrère italien Maurizio Ferraris. Markus Gabriel oppose la réalité d'une conscience humaine aux neurosciences et à une certaine tendance de la biologie qui voudraient réduire l'homme à une somme de stimuli ou à un salmigondis d'hormones. Lui se revendique d'un « humanisme éclairé », éclairé au sens de l'Aufklärung, les Lumières qui nous ont donné Kant, Descartes ou Hume. Un pied de nez au relativisme désabusé de la postmodernité. Le monde n'est pas absurde mais traversé d'une infinité de sens, Markus Gabriel appelle « champ de sens » (Sinnfeld) ce système complexe de sens, notre conscience - « l'art et la manière dont les choses sont liées » -, que produit la vie, toute vie. Comment penser qu'un smartphone est plus intelligent qu'un pigeon ?
« Laissez votre téléphone un certain temps sans y toucher, et il meurt ! » insiste-t-il.

Markus Gabriel est un néo-existentialiste qui, sans récuser les découvertes scientifiques, affirme la primauté de la conscience humaine à l'ère des robots. Face à l'intelligence artificielle, on n'a pas d'autre choix que de choisir la liberté : « Ce livre est un acte d'autodétermination. »

Markus Gabriel
Pourquoi la pensée humaine est inégalable
Lattès
Tirage: Array
Prix: 19,50 euros
ISBN: 9782709663922

En dates

1980

Naissance à Remagen (Rhénanie-Palatinat), jeunesse à Bonn

2005

Thèse de philosophie sur Schelling, à l'université de Heidelberg

2009

Professeur à l'université de Bonn où il occupe la chaire de philosophie moderne et contemporaine et d'épistémologie 

2013

« Pourquoi le monde n'existe pas » se vend à 100 000 exemplaires en Allemagne

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