De la beauté utile

http://www.metmuseum.org/art/collection/search/231915 - 58.75.21 - Photo The Metropolitan Museum of Art - https://creativecommons.org/publicdomain/zero/1.0/

De la beauté utile

Sous la direction de Sophie Mouquin, les éditions Citadelles et Mazenod consacrent un volume magistral aux arts décoratifs en Europe, de la Renaissance à l'Art déco.

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Créé le 23.10.2020 à 11h07

Quand en 1908 paraît son essai Ornement et crime, l'architecte autrichien Alfred Loos a dans le viseur Klimt et sa peinture, selon lui, décadente, efféminée, traître à l'idée même d'art. Le Beau se passe de décoration. Le trait de génie, c'est d'abord le trait, à savoir la formalisation d'une pure idée. L'Europe est héritière de Platon : la beauté est objet de contemplation. Elle ne s'abaisse pas à être utile. Ainsi la tradition occidentale fait-elle la différence entre les beaux-arts qui élèvent l'âme et les arts décoratifs qui n'auraient qu'une fonction cosmétique. On a d'un côté les arts libéraux - des œuvres réalisées par des artistes supérieurement inspirés -, de l'autre, les arts appliqués - des objets fabriqués par des artisans, simples techniciens. Cette dichotomie, Sophie Mouquin qui a dirigé Les arts décoratifs en Europe : de la Renaissance à l'Art déco, chez Citadelles et Mazenod, la rappelle dans son introduction.

Morris William (1834-1896). Paris, musée d'Orsay. OAO1249-1;OAO1249-2. - Paire de tentures Bird- Photo PATRICE SCHMIDT - PATRICE SCHMIDT / RMN-GP

Décors muraux, mobilier, tapisserie, vaisselle, orfèvrerie, etc. de quel droit leur nier le statut d'art ? La Salière de Cellini figurant Neptune et Amphitrite, ce chef-d'œuvre du maniérisme, ne participe-t-elle pas d'une forme digne d'être contemplée ? Quid d'un meuble Boulle, l'incontournable ébéniste de Versailles ? D'une théière signée Christopher Dresser, à l'abstraction japonisante, représentant de l'« English Japanese », goût en vogue à l'époque victorienne ? L'œil qui admire ces ouvrages, alliance de l'invention et du métier, et par quoi passe le plaisir esthétique, ne contredit-il pas l'absurde discrimination entre arts majeurs et arts censément mineurs ?

Vase (vase bouc du Barry B); Painted by Fallot (French, active 1764 - 1790), Gilded by Jean Chauvaux the Younger (French, 1735 - 1807?), Sèvres Manufactory (French, 1756 - present); Sèvres, France; November 1778; Hard-paste porcelain, polychrome enamel decoration, silvering and gilding; 29.5 × 17.8 × 12.1 cm (11 5/8 × 7 × 4 3/4 in.); 70.DE.99.2 - Vase (vase bouc du Barry B)- Photo THE J. PAUL GETTY MUSEUM

Avant même le XXe siècle et ses avant-gardes, Dada et son ironie iconoclaste qui déboulonna la statue du commandeur du Beau dans l'art, avant le pop art qui décloisonna les nomenclatures high (haute culture) et low (culture populaire), il y eut le mouvement Arts & Crafts, faisant la synthèse entre le concept et la main, l'art et l'artisanat, et porté par William Morris. Ce designer de textile et de papier peint fut en pleine révolution industrielle un champion d'une régénérescence des savoir-faire artisanaux et d'un accès à la beauté pour tous. Son « utopie concrète » ne donna pas tout à fait les fruits escomptés, ses productions étant plutôt acquises par des happy few. Si les arts décoratifs ont été à travers l'histoire l'apanage de l'élite, avec ce volume richement illustré voilà grandes ouvertes les portes d'un sublime palais.

Sous la direction de Sophie Mouquin
Les arts décoratifs en Europe
Citadelles & Mazenod
Tirage: NC
Prix: 205 € ; 608 p.
ISBN: 9782850888403

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