9 novembre > Essai France > Aliosha Wald Lasowski

Schopenhauer fut l’un des premiers à théoriser une métaphysique de la musique. Cet art est pour lui le plus à même de rendre compte de l’essence du monde, qui n’est autre que le vouloir-vivre : "La musique doit se rapporter au monde comme la représentation se rapporte au représenté, la copie au modèle ; c’est ce que nous pouvons déduire, par analogie, des autres arts dont l’effet sur nous est, dans l’ensemble, de la même espèce que celui exercé par la musique, sauf que celui-ci est plus fort, plus rapide, plus nécessaire, plus infaillible." Et même dans son expression la plus triviale, les rengaines les plus éculées, la musique exprimerait quelque chose de l’être des choses, notre tragique conscience de leur fugacité.

Freud, Gide, Barthes ou Deleuze… Dans Le jeu des ritournelles, Aliocha Wald Lasowski se penche sur le rapport singulier qu’entretiennent les gens du verbe à l’univers du son. "Il s’agit de saisir dans l’aveu de l’instant musical, de ces retours en boucle, les mélodies, les ritournelles qui les habitent, entre passion et inquiétude, comme un aveu de leur part, une empreinte de leur vie, une manière pour chacun d’eux d’exister et de révéler qui il est."

Le père de la psychanalyse atteste son aversion pour la musique : le jeune Sigmund fait bannir le piano du foyer de ses parents et, père à son tour, ne voudra pas que ses enfants tâtent d’un quelconque instrument. Pourtant, témoin de l’arrogance d’un dignitaire dans un train, il se souviendra comme malgré lui du Se vuol ballare dans Les noces de Figaro de Mozart et fredonnera la célèbre aria, devenue "drapeau ou fer de lance de son indignation". Gide trouve des correspondances entre Chopin et Baudelaire, dans leur "même emploi de la surprise". Barthes, amoureux des classiques et tout à la fois désireux de vivre de plain-pied dans le contemporain, écoute Tchaïkovski en lisant Charlie Hebdo. Guattari a une prédilection pour Fauré. Deleuze, quant à lui, aime le Boléro de Ravel pour son côté ritournelle. L’enivrante phrase n’y est pas tant mortifère répétition du même qu’invitation à une variation infinie. Car, comme le souligne l’auteur, philosophe-musicien et batteur dans divers groupes, ce qu’encourage par l’écoute musicale Deleuze, chantre de la déterritorialisation, est une forme d’arrachement : "Comme si la musique faisait entendre soudain une voix venue du dehors, une voix inconnue et qui, pourtant, nous parle et nous semble si proche, si familière." Sean J. Rose

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