Roman

Deesha Philyaw, "La vie secrète des bigotes" (Philippe Rey) : Les paroissiennes

Deesha Philyaw - Photo © Vanessa German2

Deesha Philyaw, "La vie secrète des bigotes" (Philippe Rey) : Les paroissiennes

Deesha Philyaw raconte l'envers des vies pieuses d'Afro-Américaines qui vont le dimanche à l'église.

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Par Sean Rose,
Créé le 21.04.2022 à 16h00

Imaginer ce qu'il se passe derrière les apparences et se projeter dans des vies autres que la sienne, n'est-ce pas le début de la fiction ? Bien sûr, plus les apparences sont lisses, plus elles repaissent notre imagination. Celle de Deesha Philyaw se déploie grâce à un art du récit délicieusement féroce. L'autrice de ce premier recueil de nouvelles, La vie secrète des bigotes, qui lui a valu le prix PEN/Faulkner pour la fiction 2021, a grandi en Floride, dans un milieu afro-américain très croyant. Les paroissiennes qui chantent les louanges du Seigneur, elle connaît. Pour ces grenouilles de bénitiers, c'est jamais avant le mariage, pas de tromperies, pas de menteries, on leur donnerait le bon Dieu sans confession. Mais mortelles parmi les mortelles, elles sont attaquées comme saint Antoine dans le désertpar les démons de la chair et leurs fantasmes de sexe hantent leurs esprits voire s'incarnent dans leurs lits.

Pieuse quarantenaire qui n'a pas encore convolé en justes noces, fille dévouée d'une mère atteinte d'un cancer, séduisante épouse de pasteur, fidèle qui n'ouvre pas que son cœur à l'homme de Dieu qui lui rend visite en début de semaine... Deesha Philyaw nous montre ici l'envers de la médaille des existences proprettes de ces bigotes qui vont à l'église le dimanche et interroge les stéréotypes dans lesquelles ses contemporainesnoires américaines se sont, par atavisme sociologique et culturel, laissées enfermées. Black wives matter... Oui, l'épanouissement sexuel des femmes noires compte, nous dit la nouvelliste. Dans « Comment faire l'amour à un physicien », la prof d'arts plastiques repasse dans sa tête et sur le divan de la psy sa stratégie de séduction d'un astrophysicien et collègue, avec un ton de soliloque à la Woody Allen. Dans « Eula », deux vieilles copines sans mari semblent assez bien se passer d'hommes, mais la célibataire éponyme de la nouvelle est obsédée par le mariage. Elle refuse de mourir vierge, s'indigne-t-elle alors que son amie lui « pousse doucement [l]es cuisses jusqu'à ce qu'elle s'ouvre, comme un autel. » En lieu et place d'un catéchisme de la libération du genre aux accents moralistes, Deesha Philyaw rédime les déterminismes du sexe et de la race par un irrésistible sens de l'ironie. Pour littéraires de tous genres et de tous poils, du pain bénit.

Deesha Philyaw
La vie secrète des bigotes Traduit de l’anglais (États-Unis) par Florence Lévy-Paoloni
Philippe Rey
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 21 € ; 368 p.
ISBN: 9782848769394

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