Avant-critique Essai

Dimitri Delmas, "La collection inavouable" (Flammarion)

La collection inavouable-La collection retrouvée 5 - Photo © Laureline Mattiussi/Flammarion

Dimitri Delmas, "La collection inavouable" (Flammarion)

Dans un livre illustré de reproductions et de dessins, Dimitri Delmas relate les tribulations de la collection Gurlitt, spoliée sous le IIIe Reich.

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Par Sean Rose,
Créé le 07.05.2023 à 11h00

Collection particulière. Être douanier ne consiste pas seulement à vérifier les papiers des voyageurs à la frontière ou à fouiller les bagages de ceux qui transitent. Au-delà du pur exercice de contrôle, un minimum de flair est requis. En septembre 2010, dans le train de Zurich pour l'Allemagne, un passager à la frêle silhouette et aux cheveux blancs a l'air très inquiet, même la voix d'un enfant dans le wagon le fait tressaillir. Ces « micro-expressions qui révèlent la peur » mettent la puce à l'oreille du douanier. Contrôle d'identité. L'individu a deux passeports : l'un allemand, l'autre autrichien ; et sur lui une enveloppe contenant 11 000 francs suisses en petites coupures, la somme limite autorisée par le code européen des douanes.

On soupçonne le vieil homme d'évasion fiscale. L'enquête mène les policiers jusqu'à son appartement munichois fin février 2012 et à la découverte d'un des plus extraordinaires trésors artistiques : la collection Gurlitt. Dessins, lithographies, gravures, tableaux signés Picasso, Matisse, Toulouse-Lautrec, Courbet, Delacroix... On trouve pêle-mêle impressionnistes, fauves, artistes dada mais aussi maîtres anciens. Certaines toiles sont encadrées, d'autres « soigneusement dissimulées dans un meuble à plans, gris-noir, de quinze tiroirs ou bien roulées sans leurs cadres sur des étagères dans une minuscule pièce de 12 m2 derrière des boîtes de conserve ». Ce sont au total près de 1 300 pièces « que beaucoup pensaient détruites, encloses dans les méandres du passé ».

À travers La collection inavouable, Dimitri Delmas retrace « l'histoire folle de la collection Gurlitt » de l'entre-deux-guerres à la spoliation sous le IIIe Reich. Les tribulations de ces œuvres inestimables réapparues au hasard d'un contrôle de routine se doublent du récit de famille de l'amateur d'art éponyme de la collection. L'homme arrêté, Cornelius Gurlitt, est le descendant d'une famille impliquée dans le monde de l'art depuis le XVIIIe siècle. Il est le fils d'Hildebrand Gurlitt, marchand d'art allemand, le petit-fils de Cornelius Gurlitt senior, architecte... Delmas remonte le temps pour comprendre la constitution d'une si riche collection. Hildebrand va se battre durant la Première guerre, mais dépressif et peu apte au combat, il est affecté à un service administratif où il rencontre Karl Schmidt-Rottluff, membre de Die Brücke, qui l'introduit à ce mouvement d'avant-garde expressionniste que les nazis taxeront d'« art dégénéré ». Et le récit de vie de cet amateur d'art très particulier qui voulait dormir parmi les tableaux de nous emporter dans les cahots de la tragédie européenne du XXe siècle. Grâce à sa conception graphique, l'ouvrage agrémenté de reproductions et d'illustrations se lit comme un album. Et on se dit que cette histoire rocambolesque mais vraie eût fait un excellent scénario pour une aventure de Tintin.

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