Rentrée littéraire 2021

Donna Haraway, « Quand les espèces se rencontrent » (Les Empêcheurs de Penser en Rond/La Découverte) : Entre chien et nous

Donna Haraway avec son chien Cayenne - Photo © Donna Haraway

Donna Haraway, « Quand les espèces se rencontrent » (Les Empêcheurs de Penser en Rond/La Découverte) : Entre chien et nous

Philosophe du cyborg comme de la condition animale, Donna Haraway nous aide à penser au-delà des dualismes. Tirage à 3000 exemplaires.

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Par Sean Rose
Créé le 28.09.2021 à 12h30

L'homme de Vitruve de Léonard de Vinci est le parangon de l'humain, emblématique de l'humanisme triomphant, et sans doute sa plus célèbre représentation avec cet Adam créé par Dieu peint par Michel-Ange pour la chapelle Sixtine, autre illustration de l'humanité comme acmé de la création divine. Les gens de la Renaissance considéraient comme une certaine tradition antique (on renaissait alors à la pensée des Anciens) que l'homme, si animal politique fût-il, était surtout plus politique qu'animal. À savoir : bien qu'entravé par des besoins corporels spécifiques, doté de logos, d'une intelligence supérieure lui permettant de dominer la nature et le reste des créatures. L'Église reprenant la vision aristotélicienne n'a fait qu'accentuer cette idée de césure entre les humains et les bêtes.

Dans les premières pages de Quand les espèces se rencontrent, Donna Haraway montre Le chien de Léonard de Vinci, image d'un canin avec les pattes disposées en étoile à l'instar de l'Homme de Vitruve susmentionné. Histoire de donner le la d'un livre tout à fait sérieux : « Transformé sous les traits de son maître, le chien aux proportions parfaites m'aide à comprendre pourquoi cette figure prééminente de l'humanisme est incompatible avec l'altermondialisation que je cherche », explique la biologiste et philosophe américaine.

Coexistence

Car le pastiche qu'est le chien de Léonard représente encore « l'espèce compagne du techno-humanisme, hanté par des rêves de purification et de transcendance ». Poursuivant sa réflexion au-delà des dualismes, l'auteure du Manifeste cyborg réaffirme sa démarche : « Je veux au contraire marcher avec la foule bigarrée qu'incarne le chien de [son ami] Jim, dans lequel les lignes bien définies entre le traditionnel et le moderne, l'organique et le technologique, l'humain et le non-humain cèdent la place aux plis et replis de la chair qu'expriment et incarnent de puissantes figures comme les cyborgs et les chiens que je connais. »

À travers une relation fusionnelle avec une chienne qu'elle connaît depuis presque huit ans, Cayenne, et dont elle est tombée « éperdument amoureuse », elle déploie, dans cet essai à la générosité stimulante, une réflexion des plus subtiles fourmillant d'anecdotes nous entraînant dans les élevages du plateau du Golan ou à Paris en compagnie de bulldogs français, en passant par les laboratoires où on dissèque des souris ou l'Alaska que sillonnent des baleines équipées de caméra. Poursuivant son travail de réflexion dépassant le manichéisme d'une pensée dualiste, Haraway invite à réexplorer ou habiter autrement ces « zones de contact » (à comprendre étymologiquement, du « toucher avec ») où l'on serait à nouveau relié. L'homme ne serait plus proche de l'animal par une domination qui prend le masque de la domestication mais par un soin constant avec l'autre non humain. Et cela va au-delà du canin, les cétacés, les singes, les poules... jusqu'aux bactéries de nos intestins sont concernés, ou plutôt nous concernent dans cette merveilleuse interdépendance du vivant.

Donna Haraway
Quand les espèces se rencontrent Traduit de l’anglais par Fleur Courtois-Lheureux
Les Empêcheurs de penser en rond/La Découverte
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 24 € ; 480 p.
ISBN: 9782359250558

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