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Dossier Belgique : les derniers jours de la tabelle

La librairie Tropismes, dans la Galerie des Princes, à Bruxelles. - Photo Marine Durand/LH

Dossier Belgique : les derniers jours de la tabelle

Après une année 2018 en dents de scie, éditeurs, diffuseurs et détaillants de Belgique francophone ont retrouvé le sourire en 2019. Mais le décret sur le prix unique du livre et la fin de la tabelle, dont la mise en place s'étire jusqu'à 2021, divise encore le milieu, qui se retrouve du 5 au 8 mars à la Foire du livre de Bruxelles. _ par

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Par Marine Durand,
Créé le 28.02.2020 à 15h52

Pour les libraires belges indépendants, 2020 a démarré par un coup de gueule. Lundi 3 février, le Syndicat des libraires francophones de Belgique (SLFB) a envoyé une lettre ouverte aux éditeurs distribués et diffusés par Dilibel pour les alerter sur les « changements de la politique commerciale » de la filiale belge d'Hachette Livre. Afin de compenser la fin de la tabelle, ce surcoût de 10 % à 15 % appliqué historiquement par Dilibel et Interforum Benelux (qui représentent à eux seuls 50 % à 60 % des livres français importés) pour contrebalancer leurs frais d'implantation outre-Quiévrain et les droits de douane, Dilibel a décidé « de façon unilatérale de descendre la remise de l'ensemble des libraires belges de 1 % », s'indigne le SLFB, réclamant le soutien de l'édition française.

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Détabellisation

« Le prix unique du livre, en mettant fin au discount, a redonné de la marge aux libraires », a rétorqué le premier groupe d'édition français, arguant que les distributeurs étaient les seuls perdants de la « détabellisation » progressive prévue par le décret sur le prix unique du livre. « Dans ce contexte, les distributeurs [...] n'ont que deux options : soit renoncer à leur présence locale, soit partager mieux l'effort », plaide-t-on au siège d'Hachette à Vanves. Interforum Benelux n'a pas répondu à nos questions sur le sujet mais n'avait pas annoncé, mi-février, de baisse de la remise commerciale.

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Sur le modèle de la loi Lang, le Décret relatif à la protection culturelle du livre adopté en 2017 par la Fédération Wallonie-Bruxelles, limite à 5 % les remises que peuvent pratiquer les détaillants sur les nouveautés pendant une période de 2 ans, réduite à douze mois pour la bande dessinée.

De l'avis des différents interlocuteurs rencontrés à Bruxelles, il est trop tôt pour tirer un bilan. Le Pilen (Partenariat interprofessionnel du livre et de l'édition numérique) a d'ailleurs lancé en décembre le portail Prixdulivre.be, destiné autant à informer le grand public de la nouvelle législation qu'à récolter les plaintes des clients et des professionnels qui constateraient des infractions.

En revanche, les hypermarchés ont eu du mal à encaisser la nouvelle législation restreignant leurs possibilités de discount. « Certaines personnes retournent vers la librairie, et d'autres n'achèterons simplement plus », regrette Anne Lardot, directrice des ventes chez Media Diffusion Belgique.

La fin de la tabelle est, de très loin, la mesure qui divise le plus. « En 2019, elle a été abaissée à 8 %, en 2020 elle est passée à 4 %, et en 2021, nous en serons complètement libérés », détaille Yves Limauge, directeur d'A Livre Ouvert, à Bruxelles, et co-président du syndicat avec Catherine Mangez, de la librairie Papyrus à Namur, qui réclame depuis longtemps l'instauration d'un prix unique comme chez ses voisins français, allemands ou néerlandais.

« Amazon n'étant pas soumis à la tabelle, cela créait une discrimination scandaleuse à l'encontre des libraires. La situation n'était plus tenable », insiste Frédéric Young, délégué général de la Société civile des auteurs multimédia (Scam) et l'un des cinq membres du comité d'accompagnement chargé d'évaluer la mise en œuvre de la détabellisation.

« Un combat idéologique »

Marc Filipson, fondateur des librairies Filigranes, estime pourtant que ses confrères se trompent de combat : « Ce qu'attendent les clients, c'est un conseil, une qualité de service, des stocks, pas un prix inférieur de quelques centimes. » Il met en avant le service « sans comparaison » qu'offrent Dilibel et Interforum Benelux avec des livraisons à J+1. « On est dans un combat idéologique », observe un éditeur belge, pour qui les libraires, en lutte depuis longtemps contre la tabelle, se tirent une balle dans le pied en renonçant à une partie de leurs bénéfices.

Les alternatives belges à Amazon ne font pas encore le poids, même si les choses bougent. Librel, la plateforme de ventes de livres numériques des librairies indépendantes de Wallonie-Bruxelles, proposera cette année d'acheter ou de réserver des livres dans une librairie près de chez soi, et Marc Filipson, qui vient de changer son logiciel de gestion, va inaugurer un service de vente en ligne en cours d'année.

Loin des querelles de clochers, l'ensemble du secteur retrouve le sourire lorsqu'il s'agit de faire le bilan de 2019, après une année 2018 compliquée. Il n'existe pas de chiffres officiels pour le marché belge, où près de 75 % des titres vendus viennent de France, mais l'Association des éditeurs belges (Adeb) planche sur un « GFK belge », souligne son président, Simon Casterman, délégué général de Casterman (Madrigall).

La littérature reste le premier segment éditorial et Soif, de la Belge Amélie Nothomb (Albin Michel), a réalisé de très bonnes performances. Partout, les voyants sont au vert. Patrick Moller, directeur général de Dilibel, évoque « une année remarquable, avec une croissance à deux chiffres dans le pratique, la jeunesse et la bande dessinée ». Ce dernier secteur progresse même si l'on fait abstraction de « l'effet Astérix ». Le Chat, XIII, Largo Winch, Blake et Mortimer ou Corto Maltese : le public a plébiscité les blockbusters du 9e art.

Les statistiques de production des éditeurs (source Adeb) montrent que la part du chiffre d'affaires réalisée à l'export, 65 % en 2018, ne cesse d'augmenter. « En deux à trois ans, je suis passé de 20 % à 40 % des ventes réalisées en France », note Xavier Vanvaerenberg, directeur de Ker éditions -(littérature générale, jeunesse et sciences) et directeur de collection chez l'éditeur jeunesse Mijade. Thibaud Léonard, le fondateur de Lemaitre Publishing, célèbre aussi une « très bonne année 2020 » pour Mardaga, maison pionnière dans la psychanalyse puis le développement personnel qu'il a reprise en 2017. 80 % de ses livres atterrissent sur les tables des libraires français.

L'éditeur scolaire Van In, qui a acheté la branche scolaire de De Boeck en 2016, veille aussi à se développer en France, « notre premier marché en dehors de la Belgique francophone »,  observe le directeur commercial Jean-Raymond Jéhu. En mars dernier, une circulaire sur la « gratuité scolaire », rappelant les limites de l'intervention financière des parents dans le coût des manuels scolaires, a semé le trouble dans le milieu, mais le porte-parole du ministère de l'Enseignement s'est montré rassurant vis-à-vis des différents acteurs.

« Inquiétude pour l'édition de création »

Quant au rayon bien spécifique de l'édition juridique, il trouve la réponse à l'érosion des ventes papier « dans l'augmentation des ventes digitales », indique Paul-Etienne Pimont, directeur général de Larcier, également intégré à un groupe d'édition français, Lefebvre Sarrut. En 2019, il a renforcé sa position dans le nord de la Belgique, tout en s'accommodant d'un autre casse-tête belge : « les livres juridiques sont exclus du Prix unique côté flamand, et inclus en Wallonie. »

Dans cet écosystème de concentration éditoriale et de main-mise des grands groupes français, quelle place reste-t-il pour les maisons indépendantes de taille moyenne ? « À l'heure actuelle, je ne vois que Mardaga et Mijade, c'est peu », déplore Thibaut Léonard. Pierre De Muelenaere, fondateur des éditions Onlit, tire lui aussi un bon bilan de l'année écoulée, avec le bel accueil réservé à Poney flottant, d'Isabelle Wéry, et sa première coédition signée avec un éditeur français. Mais il ne cache pas son « inquiétude pour l'édition de création », réduite à peau de chagrin après la fermeture l'an dernier de la maison Luce Wilquin. Il a sollicité une subvention supplémentaire auprès du Service des lettres et du livre pour accueillir dans son catalogue les auteurs de Luce Wilquin, mais s'est heurté à un refus. Thibault Léonard explique lui avoir reçu l'an passé davantage de subventions du CNL que des pouvoirs publics belges.

Face à la « déferlante du marché français », les micro-structures belges doivent relever la tête et s'unir, estime Christine de Naeyer, directrice de CFC éditions et présidente d'Espace livres et création. L'absl, qui travaille à la bonne implantation dans les festivals de sa cinquantaine d'adhérents, s'offre cette année un nouveau site et un nouveau nom plus lisible, Les éditeurs singuliers. Pour Simon Casterman, « il faut parler et faire parler du livre, c'est ce que permettent des événements comme la Fête de la BD ou la Foire du livre de Bruxelles ». Unanimement salué pour son action à la tête de la manifestation, notamment pour avoir instauré la gratuité et développé une riche programmation culturelle, le commissaire Grégory Laurent a choisi de ne pas rempiler après la 51e édition. Il sera remplacé, sitôt la fin de l'édition 2020, par la germaniste et philosophe Marie Noble, dont le milieu attend beaucoup. Le livre belge en a besoin. 

GSS : en attendant Cultura

L'implantation imminente de Cultura en Belgique, deux ans après que Le Furet du Nord a repris les magasins Chapitre.be, marque un peu plus l'intérêt des grandes surfaces spécialisées tricolores pour le marché belge.

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Cultura avait tout prévu pour son -arrivée en Belgique. La création d'une filiale, Sobelgium, basée à -Uccle. Un site internet dédié, My-cultura.be. Un emplacement de choix pour son premier magasin, au sein de la nouvelle zone commerciale Place Richelle, dans le centre-ville de Waterloo. Et une quinzaine d'autres ouvertures à suivre. Mais en septembre dernier, la bourgmestre de la ville, Florence Reuter, a douché les -espoirs d'exportation de la chaîne aux 92 succursales en annonçant que le permis d'implantation avait été refusé. L'édile a mis en avant le risque qu'aurait fait peser cette enseigne de 2 800 m2 sur les autres commerces culturels situés dans la même zone de chalandise.

« Cette expérience malheureuse fait partie de notre apprentissage en Belgique. Cela nous a permis de nous faire connaître et de nouer d'excellentes relations avec des acteurs locaux de la culture, analyse Jean-Luc Loubet, directeur général de Cultura Belgium. Les soutiens dont nous avons bénéficié renforcent notre conviction quant à notre légitimité à nous y installer : les Belges réclament depuis longtemps l'ouverture de magasins outre-Quiévrain, et avec le prix unique, les grands distributeurs francophones voient d'un bon œil l'arrivée sur le marché belge d'un nouvel acteur. Nous ambitionnons une première ouverture avant l'été. » L'enseigne tease depuis décembre le début de « l'aventure de Cultura en Belgique » sur le compte Instagram Cultura_Belgium, photos de l'équipe et #staytuned à l'appui. Mais Jean-Luc Loubet refuse pour l'instant de préciser l'emplacement de ce premier magasin.

En traversant la frontière, Cultura débarque dans un territoire où dominent deux réseaux, Club (47 magasins) racheté et relancé en 2014 par la chaîne flamande Standaard Boekhandel, et Slumberland BD World, spécialisé en bande dessinée (11 librairies en région wallonne). Et où les grandes surfaces spécialisées françaises tentent de se faire une place, entre le Furet du Nord qui a racheté en février 2018 deux ex-librairies Chapitre.be à Louvain-la-Neuve et à Namur, et la Fnac qui annonce 160 millions d'euros de chiffre d'affaires via ses 11 magasins.

Saine concurrence

Les appétits des grandes enseignes françaises n'effraient pas pour autant Cédric de Waele, responsable marketing de Slumberland, dont le chiffre d'affaires est en croissance de 11 % en 2019. « Un Furet du Nord s'est ouvert à proximité de l'un de nos magasins, mais je suis partisan de la bonne concurrence. Plus il y aura d'offre, plus il y aura de monde », détaille-t-il, pas franchement inquiet face au petit rayon BD mis sur pied par la chaîne nordiste. Pour se démarquer, il va continuer à proposer des jaquettes et couvertures exclusives à sa clientèle et développe depuis peu une offre de jeux de société.

Du côté du Furet, justement, on tire un bilan positif de l'implantation belge, sans pour autant annoncer de nouvelles ouvertures. « On a mis un an à comprendre les enjeux, les ressorts, les modes de fonctionnement et de consommation de nos clients wallons », expliquait Pierre Coursières, P-DG. du Furet, à la RTBF en septembre. Charles-Henri de Maleissye, qui a piloté le rapprochement de Fnac Belgique et de la chaîne d'électroménager Vanden Borre - consécutive au rachat de Darty par Fnac - met en avant la « belle proposition en ligne » de son réseau, capable de livrer en 24 heures en Belgique. Alors que Fnac Belgique a licencié 26 salariés en septembre, son directeur général met en avant son savoir-faire pour être « meilleur que la concurrence qui arrive ». Il ouvrira cette année le 12e magasin Fnac en Belgique, à Hasselt, qui comptera comme toutes les enseignes flamandes un nombre de références plus réduit que dans les magasins bruxellois ou wallons. Et Fnac Belgique continuera d'associer son image à celle de prix littéraires prestigieux, comme le prix Rossel de la BD. 

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