Dossier

Dossier : la double vie des éditeurs

Olivier Dion/Anne-Laure Walter/Emily Druzinec/DR

Dossier : la double vie des éditeurs

Des éditeurs profondément impliqués et reconnus dans leur métier déploient en parallèle une autre activité professionnelle ou bénévole dans un secteur différent de celui de l’édition. Livres Hebdo a demandé à une vingtaine d’entre eux d’expliquer leurs motivations et la manière dont leurs deux vies s’articulent et s’enrichissent l’une l’autre… ou pas.

J’achète l’article 4.5 €

Par Anne-Laure Walter,
Créé le 24.03.2017 à 00h32 ,
Mis à jour le 24.03.2017 à 07h26

L’édition est un métier de passionnés et de curieux. Les éditeurs sont capables de s’immiscer dans l’univers d’un autre à travers ses écrits. Certains vont jusqu’à mener en parallèle une autre activité, qui cannibalise généralement tout leur temps libre, quand elle ne nécessite pas aussi de jongler avec l’agenda éditorial. Certains le font par nécessité, quand les petites entreprises qu’ils dirigent ne leur permettent pas de dégager un salaire suffisant. D’autres parce que les ponts entre les deux activités sont évidents, comme les libraires qui développent de manière complémentaire une petite production éditoriale. Mais pour les 21 éditeurs que nous avons rencontrés, c’est différent. Ils ont fait, par passion, conviction, engagement, obligation familiale, fidélité amicale, goût de l’entrepreneuriat ou formation initiale, le choix de se partager entre l’édition et une autre activité professionnelle ou bénévole, en compartimentant ou en imbriquant leurs vies. "Je m’ennuierais si je devais choisir entre l’une ou l’autre, cette diversité me nourrit", souligne Jérôme Schmidt, cofondateur d’Inculte et simultanément rédacteur en chef de Poker 52.

Vous reconnaîtrez, parmi ces Janus de l’édition, des patrons de groupes, l’un des plus gros éditeurs de mangas, des responsables de départements littéraires, des professionnels de l’illustré… Vous découvrirez leur face cachée et croiserez le directeur d’une conserverie de pâtés, la présidente d’une fondation, une créatrice de vêtements, l’organisateur du concours de beauté Mister France, un joueur invétéré de poker, une administratrice de SOS pour les joueurs et leur famille, la psychologue qui a donné naissance à l’expression "déni de grossesse", un galeriste, un amoureux de voitures anciennes, des directeurs d’une école alternative, une passionnée d’équitation, un soutien de l’école du riz au Cambodge, l’ancien fondateur d’une société de parcs de jeux devenu directeur d’un complexe culturel parisien, une directrice de gîtes de charme, un maître d’école, le fondateur des conservatoires d’écriture, un alpiniste belge, une alguazil, le patron d’une usine de plaques pour circuits imprimés, un marin ou un membre du comité des donateurs de Médecins du monde.

A travers leurs portraits, Livres Hebdo vous invite à porter un regard neuf sur l’édition et ceux qui la font. A.-L. W

Vera Michalski : de multiples vies en une

 

Vera Michalski est la présidente du groupe Libella

 

Photo YVES LERESCHE

Ce n’est pas une double vie mais une myriade d’activités qui occupent Vera Michalski, au point que l’on se demande quand elle dort. Non contente de diriger le groupe Libella qui réunit une dizaine de maisons d’édition, en France comme à l’étranger, une librairie et une galerie, l’éditrice assure la direction de la très fertile Fondation Jan Michalski - du nom de son mari disparu en 2002 - pour l’écriture et la littérature. "En principe, je répartis équitablement mon temps entre Libella et la fondation et passe donc beaucoup d’heures dans les transports entre Lausanne, Arles, Paris, ou encore Varsovie", détaille-t-elle. Mais ce n’est pas tout. Présidente du Bureau international de l’édition française (Bief), Vera Michalski est aussi depuis octobre 2016, "ambassadrice de bonne volonté" pour l’Unesco. Héritière du groupe pharmaceutique Hoffmann-La Roche, où elle assiste seulement à l’assemblée générale annuelle, n’y détenant aucun poste, la mécène s’investit aussi en dehors du monde du livre. Elle dirige la Fondation pour l’art dramatique du théâtre de Vidy-Lausanne ou encore le festival des Sommets musicaux de Gstaad. Comme son père, Lukas Hoffmann, mort en 2016, cofondateur du Fonds mondial pour la nature (WWF), elle siège au conseil de plusieurs fondations actives dans le domaine de l’environnement. Des engagements multiples dont l’insaisissable Vera Michalski se sert pour irriguer son cœur de métier, l’édition, et ainsi "nourrir le choix des livres ou des domaines à explorer". P. L.

Anne-Charlotte Sangam : l’éditrice qui brode

 

Anne-Charlotte Sangam est éditrice de littérature étrangère pour Plon ("Feux croisés") et Les Escales

 

Photo DR

Elle a eu un déclic en 2008. Alors qu’elle accompagnait son petit frère aux journées portes ouvertes d’une école d’arts appliqués, Anne-Charlotte Sangam, éditrice de littérature étrangère chez Plon et Les Escales (Edi 8), est saisie par la dextérité des mouvements des apprentis couturiers. "J’ai su à l’instant que c’était ce que j’aurais aimé faire", lance-t-elle. A l’époque chez Autrement, où elle était chargée de la non-fiction, elle décide d’apprendre à coudre en prenant des cours du soir. "Au début, je décorais mes habits et je faisais des sacs en tissu, mais très vite ma production a considérablement augmenté", raconte-t-elle. Ses collègues éditrices lui commandent notamment des cadeaux de naissance, des bavoirs pour enfants. "J’ai créé un univers parallèle d’aiguilles et assemblages passionnant", explique la trentenaire. Elle franchit le pas en 2014 et crée sa marque, Lullaby, du nom de la jeune héroïne de J. M. G Le Clézio. Les ventes privées et les commandes rythment ses nuits et ses week-ends. "La couture me vide la tête, me permet de prendre de la distance", affirme-t-elle. Depuis son arrivée chez Edi8 en 2015, elle a néanmoins mis en suspension le développement de sa marque, ses nouvelles responsabilités occupant presque tout son temps. "Je suis une éditrice heureuse, j’aime ce métier purement intellectuel, mais je ne ferme aucune porte."I. C.

Hugues de Saint Vincent : meilleures ventes et Mister France

 

Hugues de Saint Vincent est le P-DG d’Hugo & Cie

 

Photo OLIVIER DION

Quel rapport entre un roman érotique d’Anna Todd et la course d’obstacles D-Day Race ? Aucun a priori. Pourtant, aux côtés des maisons d’édition du groupe Hugo & Cie, trône une filiale plus discrète, Hugo Events, propriétaire de six événements. Créée en 2009, en s’appuyant sur la communauté de lecteurs d’Hugo Sport, la filiale a lancé "la plus royale des courses", au cœur du château de Versailles. Puis elle s’est développée au fil des ans en reprenant le Nouveau Cross du Figaro, en inaugurant le festival New romance ou en acquérant Mister France en 2011. Elle génère aujourd’hui un chiffre d’affaires de 5 millions d’euros et se développe en toute indépendance. Aux débuts de l’aventure, Hugues de Saint Vincent, fondateur d’Hugo & Cie, y consacrait "15 à 20 % de son temps". Aujourd’hui il délègue la direction à Isabelle Hazard, qui encadre une dizaine de personnes. "Il y a beaucoup de synergies entre les deux activités, notamment la communication et la création graphique, explique l’éditeur. Pour le festival New romance, la synergie est même totale, mais ça n’aurait pas été possible sans Hugo Events". L’éditeur souligne les qualités propres de sa branche événementielle comme la production, la logistique et l’animation. Cette année, aucun nouvel événement ne sera créé. Dans les cartons, il y a la déclinaison de Mister France sous forme de calendrier. Reste à savoir où le "charme" se situe dans la devise de la société, "Sport, culture, famille". V. T.

Olivier Frébourg : l’édition en haute mer

 

Olivier Frébourg est le directeur des éditions Les Equateurs

 

Photo NICOLAS CORNET

Depuis son bureau aux allures de phare, au 5e étage d’un immeuble parisien, Olivier Frébourg conduit les éditions des Equateurs comme un bateau. Ce fils de capitaine dans la marine marchande "gère la tempête tous les jours" en compagnie de ses collaborateurs, au rendez-vous tous les soirs pour un "debrief" fait d’ordres et de contre-ordres. Sur la forme comme sur le fond, Les Equateurs sont à l’image de leur fondateur. De mère bretonne et de père normand, Olivier Frébourg a toujours gardé la mer sur sa ligne d’horizon. En suivant son père dans ses affectations, il a vécu en Normandie et aux Antilles. Son goût du voyage et de la mer s’est naturellement imposé dans la ligne éditoriale de sa maison, créée en 2003 : "Les Equateurs c’est le poème de Blaise Cendrars. C’est à la fois la ligne de l’équateur mais aussi la ligne de l’écriture avec des écrivains comme Sylvain Tesson ou Loïc Finaz, à fort caractère maritime", explique-t-il. L’éditeur partage son temps entre Sainte-Marguerite-sur-Mer, près de Dieppe, et Paris. "J’ai besoin de beaucoup de solitude", explique cet habitué des piscines municipales parisiennes. Il trouve son réconfort sur un bateau ou au contact d’autres écrivains qui lui ressemblent comme ceux appartenant aux Ecrivains de marine, une association fondée en 2003 par Jean-François Deniau : "Entre camaraderie et franc-parler, nous partageons les mêmes valeurs et poursuivons un même objectif : illustrer la mer sous toutes ses facettes". Une forme d’engagement aussi. I. C.

Sophie Marinopoulos : soigner les mots

 

Sophie Marinopoulos est éditrice et cofondatrice des Liens qui libèrent

 

Photo OLIVIER DION

Lorsque Sophie Marinopoulos n’est pas en train de travailler les mots de ses auteurs aux Liens qui libèrent, elle accouche ceux de ses patient(e)s dans la structure associative Les Pâtes au beurre qu’elle a créée en 1999. Car l’éditrice est aussi psychanalyste et psychologue. C’est même sa première vie quand, au début des années 1980, elle commence à "travailler auprès des femmes", donne naissance à l’expression "déni de grossesse" et témoigne, notamment, au procès de Véronique Courjault, condamnée pour trois infanticides. Elle s’engage pour l’accessibilité des soins psychiques avec l’association à laquelle elle se consacre maintenant. "Les Pâtes au beurre, c’est un lieu d’accueil avec des cuisines, où des psychologues reçoivent à tout moment des familles pour parler de ce qui ne va pas", détaille Sophie Marinopoulos. Dix ans après, c’est tout naturellement qu’elle et son mari, l’éditeur Henri Trubert, regroupent leurs engagements communs dans la société pour lancer Les Liens qui libèrent. "Nous, les psys, on travaille sur le récit murmuré dans l’intimité d’un cabinet, tandis que le livre permet de le partager et de se mettre en lien avec les autres : c’est complémentaire." Portée par son engagement, l’éditrice parcourt chaque semaine les 900 kilomètres qui séparent Nantes, où se situe l’association, et Uzès, où est installée la maison. "J’ai oublié le concept de week-end et divise ma semaine en parts égales, tout ça est très chronophage."P. L.

Patrick Frémeaux : pleins les yeux et les oreilles

 

Patrick Frémeaux est le directeur de Frémeaux & Associés

 

Photo OLIVIER DION

Par ses différentes activités, Patrick Frémeaux souhaite capitaliser sur la culture. Cet entrepreneur dans l’âme, créateur de la maison d’édition sonore Frémeaux & Associés, dirige aussi depuis près de trente ans une galerie d’art. Aux 25 000 titres de documents sonores édités s’ajoutent plus de 8 000 tableaux vendus. "J’ai voulu créer un modèle économique dans le secteur", affirme-t-il. Ce Parisien débute sa carrière à 17 ans en se lançant dans la production de spectacles. Pendant qu’il sillonne les routes en compagnie de jazzmans comme Michel Petrucciani, il commence sa collection d’art. A 23 ans, il ouvre sa galerie grâce à un emprunt et crée deux ans plus tard sa maison de disques, devenue maison d’édition de patrimoine sonore : "Nous éditons les discours du général de Gaulle mais aussi L’étranger lu par Camus ou les entretiens de Pierre Mendès France avec Jean Lacouture", explique-t-il. La maison d’édition et la galerie d’art, où des masques africains côtoient des estampes du XXe siècle, partagent la même adresse à Vincennes. Patrick Frémeaux dirige une équipe de 8 salariés et d’une cinquantaine de collaborateurs entre les deux structures. "Je suis collectionneur d’art, passionné de musique, directeur financier, commercial mais aussi distributeur. Je suis un industriel de la culture", conclut-il. I. C

Philippe Gloaguen : routard à l’école du riz

 

Philippe Gloaguen est le directeur du Guide du routard

 

Photo DR

A côté de la direction du Guide du routard, qu’il a cofondé en 1973, Philippe Gloaguen consacre une partie de son temps à Sala Baï, soit "l’école du riz". "Elle est située près de Siem Reap au Cambodge et forme en dix mois des promotions d’une centaine de jeunes aux métiers de la restauration et de l’hôtellerie, qui trouvent tous du travail en sortant", explique-t-il. La formation est gratuite et réservée aux jeunes de familles dans le besoin ou à la rue, qui sont repérés par des ONG de secours aux plus démunis. Ouverte en 2002, Sala Baï est soutenue par l’ONG française Agir pour le Cambodge, créée à l’origine, en 1985, pour venir en aide aux victimes des Khmers rouges. Le patron du Routard utilise sa notoriété et son réseau de relations dans le tourisme pour lever des fonds ou convaincre des cadres de l’hôtellerie et des chefs de restaurants de consacrer à leur tour un peu de leur temps à la formation des élèves sur place ou à l’organisation de dîners de donateurs. H. H.

Thierry Billard : jantes chromées et gens lettrés

 

Thierry Billard est directeur éditorial des documents chez Flammarion

 

Photo OLIVIER DION

Depuis l’âge de 5 ans, Thierry Billard n’a jamais cessé de jouer aux petites voitures, dont il aime l’esthétique et le design. Le directeur des documents de Flammarion, qui passera en avril à la direction éditoriale de Plon et des Presses de la Renaissance, est un fou de voitures. Historien et journaliste de formation, il a créé une rubrique automobiles de quatre pages dans le magazine Max et aujourd’hui pige pour Paris Capitale, multipliant essais de nouveaux modèles et voyages de presse, sa spécialité étant de parler des voitures qu’il essaie de façon "life style". Car ce n’est pas tant la vitesse qu’il aime que la voiture de collection, lui qui vient de s’offrir une Mercedes Pagode de 1969. "J’ai réduit beaucoup les essais, deux ou trois dans l’année, mais récemment j’ai posé une journée pour la nouvelle Aston Martin", raconte-t-il. Si cette passion est assez éloignée de son métier, il n’est pas rare qu’il croise en voyage de presse un journaliste qui prépare un article sur un de ses livres. Il raconte qu’un bon roman peut lui tomber des mains s’il découvre un modèle de voiture anachronique par rapport à l’intrigue. Et beaucoup de ses souvenirs littéraires se mêlent à ses amours automobiles : "Sagan pieds nus au volant de sa Jaguar fait partie de ma mythologie. Et j’ai été marqué par la mort de Roger Nimier à bord de son Aston Martin DB4 ou l’accident de voiture qui coûta la vie à Albert Camus et Michel Gallimard. C’était une Facel Vega."A.-L. W.

Carl Van Eiszner : aux côtés des French Doctors

 

Carl Van Eiszner est le P-DG de Mengès-Place des Victoires

 

Photo OLIVIER DION

Carl Van Eiszner a toujours été admiratif des French Doctors, ceux qui partaient en Afghanistan à dos d’âne avec dix mules chargées de médicaments. Si aujourd’hui, les ONG sont bien plus organisées, le P-DG de Mengès-Place des Victoires, qui officie depuis trente-huit ans dans l’édition, continue de les soutenir. Il y a vingt ans, il est entré au comité des donateurs de Médecins du monde, unité d’une douzaine de donateurs bénévoles qui veillent à la bonne utilisation des dons reçus par l’association. "Nous nous retrouvons une fois par mois et partons deux à trois fois par an sur le terrain, visiter les missions et faire des rapports", raconte-t-il. Il se souvient des 200 piqûres de punaises et de puces en Ethiopie, des levers à 5 heures du matin au Libéria afin de trouver un moyen de prendre une douche, près de sa case qui n’a pas l’eau courante, et d’être présentable pour partir à 7 heures sur le terrain. Il se rappelle cette mission "qui lui a donné le plus de cauchemars", à la frontière de la Guinée et du Libéria, avec cette femme qui le suppliait de faire opérer son bébé, opération possible dans la capitale pour 50 dollars, mais avec au moins six mois de rééducation, tout cela hors du programme de Médecins du monde qui n’assurait dans la brousse que les soins de santé primaires. Il y a eu aussi Gaza, Haïti… Carl Van Eiszner a poussé l’engagement jusqu’à être président du comité pendant deux ans. "J’ai failli faire faillite !" Redevenu simple membre, il part moins mais continue à aller aux réunions où il a fait entrer dernièrement un confrère, Jérôme Denoix, directeur du développement chez Hachette Livre. De quoi mêler ses deux activités. A.-L. W.

Jérôme Schmidt : l’édition est un coup de poker

 

Jérôme Schmidt est cofondateur et éditeur d’Inculte

 

Photo YANN STOFFER

Au premier abord, rien n’indique que Jérôme Schmidt, cofondateur d’Inculte, soit un joueur invétéré de poker, passion qui l’a mené à devenir rédacteur en chef du mensuel Poker 52. Mais son regard franc et son assurance tranquille ont dû être de sérieux atouts tant dans les cercles de jeux que dans ceux de l’édition. "Le poker apprend à ne pas se laisser marcher dessus, à disséquer calmement le cerveau du mec en face pour le comprendre afin de le battre", explique l’éditeur avec ferveur. C’est en 2005, juste après la création de la maison, qu’il découvre le jeu alors qu’il réalise un documentaire pour Arte à Las Vegas sur l’univers du poker. Dès son retour à Paris, il fréquente assidûment les cercles de jeux parisiens où il rencontre "des galeries de gens qu’on ne trouve nulle part ailleurs". Au-delà du plaisir, le poker lui permet de faire vivre la maison. "Je crois que j’ai traumatisé une salariée en racontant comment j’avais réussi, la veille au soir, à gagner à tapis les salaires que je devais verser le lendemain". Il y a deux ans, la fermeture des cercles de jeux parisiens et l’entrée d’Actes Sud dans le capital de la maison ont changé la donne. La société a trouvé un équilibre financier et l’éditeur joue moins, se consacrant tout de même à ses deux passions. "Je m’ennuierais si je devais choisir entre l’une ou l’autre, cette diversité me nourrit." Parallèlement, Jérôme Schmidt voyage beaucoup pour les documentaires ou guides dont il s’occupe et profite toujours d’un saut à Vegas ou à Macao pour disputer une partie de "cash game". P. L.

Paul-Erik Mondron : l’ascension d’un éditeur

 

Paul-Erik Mondron est le directeur de Nevicata

 

Photo DR

Depuis sa lecture de Premier de cordée, Paul-Erik Mondron n’a jamais cessé de rêver de sommets. "Je passais des heures sur les cartes de montagnes à apprendre les vallées et les pics", se souvient l’éditeur belge. A 14 ans, ses parents l’envoient en stage d’alpinisme en Suisse, et il y retournera jusqu’à la fin de sa scolarité, quand pour son diplôme de droit, on lui offre l’ascension d’un sommet de 4 000 mètres. "La montagne est une permanente leçon d’humilité, ce n’est qu’une fois sur deux que l’on parvient à réaliser le projet envisagé." En 1994, il monte avec un ami une expédition en Antarctique pour gravir la plus haute montagne du continent austral, cent ans après la première expédition belge. Pendant deux ans, il s’occupe de la logistique et son ami réunit les fonds. A l’époque, Paul-Erik Mondron est déjà éditeur chez Racine où il négocie un congé sans solde. En 1999, ne se retrouvant plus dans la ligne belgo-belge de la maison, il quitte Racine et part voyager un an, gravissant les sommets en Nouvelle-Zélande, en Argentine, au Chili. De retour en Belgique, il reprend un magasin d’alpinisme et poursuit les ascensions en Alaska, en Chine… Ce n’est qu’en 2007 qu’il décide de se poser et crée Nevicata. "La passion est toujours là mais se manifeste différemment." S’il a une petite ligne réputée de livres de montagne, le gros de la production reste des traductions des textes de non-fiction, qui mêlent voyages, histoires, biographies et la collection "L’âme des peuples". Fini, les sommets ? "Il y a deux ans je suis parti un mois en Patagonie et j’espère y retourner l’an prochain. Et puis je grimpe tous les ans. L’été prochain, je découvre les Pyrénées."A.-L. W.

Mijo Thomas : l’amoureuse des arts au secours des joueurs

 

Mijo Thomas est cofondatrice de Macula

 

Photo OLIVIER DION

Quel professionnel de l’art ne connaît pas Mijo Thomas, son accent cévenol et ses chapeaux originaux ? Si beaucoup ont côtoyé l’ancienne présidente du groupe Art au Syndicat national de l’édition et éditrice pendant trente ans de Macula, maison spécialisée dans l’histoire de l’art aujourd’hui dirigée par Véronique Yersin, rares sont ceux à connaître ses engagements associatifs pour l’éducation à la paix mais aussi pour une association de soutien aux joueurs, dont elle fait partie du bureau depuis vingt ans. "Je me suis retrouvée embringuée dans l’aventure par amitié, raconte-t-elle. La personne qui tapait nos manuscrits fondait cette association et elle avait besoin de personnes au casier judiciaire vierge et qui n’avaient aucun lien avec le jeu." Au sein de cette association d’aide aux joueurs et à leur famille, elle s’occupe de l’administratif et découvre les addictions qui touchent toutes les catégories professionnelles, de la mère de famille à l’étudiant en médecine. "Je n’avais aucune idée de la violence et de la tristesse des situations qu’engendre le jeu. C’est révulsant", s’insurge-t-elle. Alors n’allez pas lui parler de Patrick Bruel, l’ambassadeur sexy du poker, car la septuagénaire, loin de souhaiter quelques malheurs à quiconque, le pendrait bien haut et court. A.-L. W.

 

Chloé Pathé : à cheval sur l’édition

 

Chloé Pathé est la directrice des éditions Anamosa

 

Photo DR

Depuis la création de sa maison d’édition en sciences humaines Anamosa, en mars 2016, Chloé Pathé doit faire preuve d’endurance. "Nos livres peuvent mettre du temps à s’installer en librairie, c’est une course de fond", admet-elle. Le défi ne l’effraie pourtant pas, elle qui assure avoir appris à surmonter les obstacles, la tête haute sur un cheval. Originaire du village de Pompadour, en Corrèze, cette éditrice de 38 ans pratique l’équitation depuis l’âge de 7 ans. "L’édition et l’équitation sont faites de ténacité et de persévérance. Le travail d’accouchement d’un texte est long tout comme l’apprentissage de l’équitation où on se fait peur, on tombe mais on apprend à ne rien lâcher et à se faire respecter. Sinon, c’est l’animal qui l’emporte", estime-t-elle. Si elle n’est pas une habituée des compétitions, Chloé Pathé a toutefois décidé en 2014 d’investir dans un cheval, Prince Corse, avec un ami éleveur. Pendant deux ans, le duo l’a préparé aux courses d’endurance, une discipline récente très suivie par les Emiratis, puis revendu. "Cette somme m’a permis de réunir une partie des fonds nécessaires afin de créer Anamosa", précise-t-elle. Depuis, elle dresse son "petit dernier", Esprit de la rivière, un poulain de 4 ans. Elle multiplie donc les allers-retours entre Pompadour et Paris : "Je calme ainsi ma pensée."I. C.

Marion Mazauric : le diable s’habille en alguazil

 

Marion Mazauric est éditrice et fondatrice du Diable vauvert

 

Photo DR

Longtemps, Marion Mazauric a scrupuleusement compartimenté ses deux vies. La semaine, alors directrice littéraire de J’ai lu, elle fréquente le monde de l’édition parisienne, avant de filer le week-end vers son "pays", Nîmes, et d’écumer les arènes. "Dans les grandes saisons, j’ai fait 35 courses au sein de la cavalerie d’Alain Bonijol en tant qu’alguazil", explique-t-elle. Ce personnage, drapé de noir et monté à cheval, est celui qui veille "au respect du règlement de la corrida, une sorte de flic de l’arène". Une charge qui nécessite un travail très suivi avec les chevaux, dont elle est férue depuis l’enfance. Durant quinze ans, l’éditrice vit autour de ces allers-retours constants. En 2000, pour se rapprocher de sa famille et de sa passion mais aussi pour "publier les grands artistes émergents sur le terreau des pops-cultures contemporaines", elle créé dans le Sud Au Diable vauvert. "Je n’avais absolument pas dans l’idée d’éditer des ouvrages liés aux corridas ou aux chevaux, bien au contraire, c’était mon intimité." Son travail d’éditrice est tellement prenant que la tauromachie représente une soupape de décompression. Il lui faudra lire en 2003 le manuscrit de Simon Casas, Taches d’encre et de sang, dont elle tombe amoureuse, pour accepter l’évidence : sa passion a une place dans son catalogue puisque "qu’est-ce que la tauromachie si ce n’est une culture populaire, éminemment subversive ?". Depuis, l’éditrice s’est dotée d’une ligne "Equitations, tauromachies, nature et territoires" qui lui permet de compenser la frustration d’être moins dans l’arène bien que toujours aussi proche de ses chevaux. P. L.

Alain Kahn: serial entrepreneur

 

Alain Kahn est le président de Pika

 

Photo OLIVIER DION

Dans son bureau, les badges d’accréditation aux salons professionnels s’accumulent autour du cou d’un chien en porcelaine. A la Foire de Francfort, Alain Kahn est président de Pika. A l’Apex Expo, il devient président de CCI Eurolam. Tandis qu’aux Rendez-vous de l’industrie du tourisme, il se mue en président de l’agence de voyage Transunivers. Diplômé d’HEC, celui que l’on connaît pour l’édition de mangas à succès comme Fairy tail ou L’attaque des titans n’a jamais cessé d’entreprendre. En 1973, il commence aux côtés de son père qui travaille pour General Electric et monte une usine de plaques stratifiées utilisées dans la fabrication de circuits imprimés. "Il n’existe aucune synergie entre les deux métiers, si ce n’est peut-être les méthodes de gestion d’une entreprise." Tout au long de sa carrière, il cumule les activités, une partie de la semaine à Antony (Hauts-de-Seine) dans les entrepôts de CTS et CCI Eurolam, l’autre partie chez Pika, filiale d’Hachette depuis 2007. Avec 110 employés, CCI Eurolam réalise un chiffre d’affaires de 45 millions d’euros et dispose de trois entrepôts logistiques à Preston en Angleterre où il est domicilié depuis peu, à Antony en France et à Düren en Allemagne. Lorsque l’on visite les 8 000 m2 d’entrepôts à Antony, il reste le local Pika, qui a autrefois hébergé le stock des éditions et renferme à présent les produits sous clé comme les nouvelles encres conductrices amenées à remplacer le cuivre. "J’ai toujours eu cette double vie, je me suis partagé entre ces activités et je devrais bien un jour faire des choix." Surtout que, à partir de l’été prochain, il deviendra P-DG d’un ensemble d’hôtels en Asie du Sud-Est. A.-L. W.

Fabienne Kriegel : rénovatrice de maisons

 

Fabienne Kriegel est la directrice générale du Chêne

 

Photo OLIVIER DION

Dans le portecarte de Fabienne Kriegel, il y a deux compartiments : celui des cartes de visites de la directrice du Chêne, celui de la propriétaire des Gîtes de l’école à Talmont-Saint-Hilaire, en Vendée. En 2000, alors que la grande tempête a arraché le toit de l’école désaffectée au fond du jardin de sa maison de campagne, le maire du village, qui souhaitait la raser pour construire un lotissement, consent à lui vendre. Pendant six ans, elle regarde ce bâtiment du XVIIIe siècle qui demande beaucoup de travaux. "Au départ, je voulais en faire un musée de l’école publique mais je ne me voyais pas gardienne de musée, se souvient-elle. Nous ne pouvions pas en refaire une école, alors nous avons décidé de faire des gîtes et d’y habiter." Les salles de classe, dans le style des bâtiments Jules Ferry, deviennent la partie habitation, et le logement des religieuses ainsi que la cantine de l’école abritent les quatre gîtes. Elle a dessiné tous les plans, pensé tout l’aménagement. Chacun a son identité et ses étagères pleines de livres. "J’aime rénover des maisons, c’est ce que je sais faire", et ce qu’elle a fait à son arrivée au Chêne en 2006, après neuf ans chez Hachette Fascicules. Si la gestion des réservations est confiée aux Gîtes de France et celle des arrivées et départs à la patronne du café communal, depuis quatre ans, elle se rend au moins un week-end par mois et toutes les vacances pour gérer les problèmes administratifs et les petits travaux. Elle en profite pour échanger avec les vacanciers qui séjournent aux Gîtes de l’école et qui sont, en majorité, des enseignants. A.-L. W.

Philippe Robinet : aimer lire et écrire : même combat

 

Philippe Robinet est le directeur général de Calmann-Lévy et de Kero

 

Photo OLIVIER DION

Tous les matins, à 8 h 30, c’est le même rituel pour Philippe Robinet : il s’entretient avec Charles Autheman à propos du Labo des histoires, l’association de sensibilisation à l’écriture qu’il a lancée en 2011. "Charles est le délégué général, il est dans l’opérationnel. Je suis le président et j’essaie de lui apporter le recul nécessaire sur les actions que nous menons au quotidien", explique celui qui dirige également Calmann-Lévy et Kero. Le Labo des histoires compte actuellement 5 000 ateliers d’écriture sur tout le territoire français à destination de près de 50 000 jeunes de moins de 25 ans, selon Philippe Robinet. "Permettre à tous ces jeunes de développer leur écriture créative peut être un premier pas vers la lecture, mes activités sont donc complémentaires. Cependant, Calmann-Lévy et Kero n’éditent pas de la jeunesse et n’ont pas vocation à le faire, je ne voudrais pas me retrouver dans un conflit d’intérêt", précise-t-il, ajoutant que son association vit grâce à des subventions publiques et des aides de fondations. S’il avoue qu’il lui serait "insupportable" de voir un jour disparaître son association, Philippe Robinet temporise : "Je ne suis pas vissé à mon siège de président, je suis juste un initiateur. Le plus important, c’est que ces jeunes continuent à écrire." I. C.

Jacques Damade : le maître d’école

 

Jacques Damade est professeur et fondateur des éditions La Bibliothèque

 

Photo OLIVIER DION

Pour Jacques Damade, tout est parti d’une vieille bibliothèque familiale. Son goût pour la langue - qui l’a amené à devenir professeur de français et directeur d’un lycée tourné vers la culture - et son désir de transmission qu’il a assouvi en créant sa maison d’édition : La Bibliothèque. Dans l’ordre, il s’est d’abord consacré en 1982 au lancement du Cours Saint-John-Perse (Paris), un lycée "presque familial", avec ses classes de 10 à 15 élèves, accueillant des élèves "en délicatesse avec le système scolaire", qui préparent des bacs spécialisés notamment dans le cinéma ou les arts plastiques. Il y enseigne le français et en assure la codirection. Dix ans après, face à l’imposante bibliothèque familiale constituée durant plus d’un siècle, Jacques Damade se lance dans l’édition, rééditant des textes anciens, puis plus contemporains. "J’essaie de transmettre à mes élèves le goût des auteurs que je publie, et, dans l’autre sens, j’ai toujours rêvé, sans avoir le temps, de faire un livre avec eux sur le décrochage scolaire." Le manque de temps, c’est sûrement ce dont souffre le plus ce professeur qui consacre 30 % de son énergie à l’édition, et le reste à l’enseignement. "Je cours tout le temps et pourtant je suis en train de rater une publication intéressante en ce moment", soupire l’éditeur qui attend la retraite pour pouvoir renverser la vapeur. P. L.

Xavier Pryen : à travers le Luxembourg

 

Xavier Pryen est le directeur général de L’Harmattan

 

Photo OLIVIER DION

J’ai vendu ma société de parcs de jeux en décembre, et j’ai plus de temps maintenant à consacrer au Lucernaire", se réjouit Xavier Pryen, par ailleurs patron du groupe L’Harmattan. Neveu du fondateur, Denis Pryen, il l’avait rejoint comme conseiller à la gestion en 2006 alors qu’il avait créé Kidzy dans le nord de la France quatre ans auparavant. L’Harmattan avait repris Le Lucernaire en 2004. Situé rue Notre-Dame-des-Champs (Paris 6e), à vingt minutes à pied de l’éditeur installé près du Panthéon (Paris 5e), ce complexe de 6 salles de théâtre et de cinéma, complété d’une galerie, d’un bar et d’un restaurant, était alors en grande difficulté. "L’ensemble des activités fait travailler environ 120 personnes : 35 au Lucernaire, 50 à l’édition chez l’Harmattan, 25 en librairie en France, 20 en Afrique." 2017 devrait être l’année d’un rythme un peu plus posé. "Je consacre environ 20 % de mon temps au Lucernaire, que je rejoins en traversant le jardin du Luxembourg : je peux décompresser un peu", reconnaît-il. A nouveau réorganisé il y a deux ans, complété d’un cours, le théâtre est maintenant à l’équilibre, alors que la subvention de la mairie de Paris a chuté de 600 000 à 15 000 euros. "Mais c’est une activité fragile, à la merci du moindre événement." Entre ces deux activités culturelles, la seule complémentarité est une petite librairie dans le hall d’entrée. Mais il y a un point commun : le foisonnement productif. Le Lucernaire programme 8 spectacles tous les soirs, le cinéma diffuse 15 à 18 films par semaine, le restaurant fait tourner 120 couverts et L’Harmattan produit environ 2 600 nouveautés par an… Infatigable, Xavier Pryen a cofondé ILP, une imprimerie numérique basée à Dakar, qui fabrique ses premiers livres depuis janvier. H. H.

Jean-Paul Capitani : abonné aux rentrées

 

Jean-Paul Capitani est le directeur du développement du groupe Actes Sud

 

Photo MARC MELKI

Depuis deux ans, Jean-Paul Capitani cumule, en septembre, deux rentrées en même temps. La première, littéraire, qu’il orchestre en tant que directeur du développement du groupe Actes Sud, et la seconde, scolaire, dont il s’occupe au titre de directeur de l’école du Domaine du possible. L’établissement privé alternatif qu’il a créé en 2015 à Arles avec sa femme Françoise Nyssen, présidente de la maison arlésienne, est "presque un projet éditorial à part entière", estime l’éditeur. L’école, qui porte d’ailleurs le même nom qu’une collection de la maison, s’inscrit en effet dans le prolongement de la philosophie d’Actes Sud et tente d’insuffler à une centaine d’enfants - du CP à la terminale - une solide confiance en eux, autant que l’ouverture à la nature, l’art ou la lecture. Une mission tellement essentielle pour Jean-Paul Capitani qu’il ne la conçoit pas comme un travail, bien qu’elle l’occupe quotidiennement. "Si vous appelez "travail" le fait de faire ce qui me plaît et me semble important, alors oui, j’ai beaucoup de travail !" s’amuse-t-il. Cet engagement personnel fait aussi écho à la disparition de leur fils, "un enfant différent". "L’école n’a pas pu résoudre ses problèmes d’apprentissage", indique pudiquement le couple sur le site de l’établissement. "Cette initiative qu’on porte depuis longtemps est très imbriquée dans nos vies professionnelles, et pas seulement, explique Françoise Nyssen, nous ne sommes pas seulement des imprimeurs de livres, mais aussi des citoyens à part entière !". P. L.

24.03 2017

Les dernières
actualités