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Dossier : les prestataires en librairie à la rescousse

La Librairie Millepages à Vincennes. - Photo OLIVIER DION

Dossier : les prestataires en librairie à la rescousse

Confrontés à l'évolution de leur environnement et la complexification de leur métier, les libraires font appel à des prestataires dans des domaines de plus en plus variés. Le développement de la prestation en librairie bute toutefois sur leurs faibles moyens financiers.

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Par Cécile Charonnat
Créé le 28.06.2019 à 14h41

Les libraires sont un peu les Messieurs Jourdain de la prestation de services : ils la pratiquent sans vraiment s'en rendre compte. Interrogés sur le sujet, ils peinent à appréhender la notion et à témoigner. Pourtant, comme toute entreprise, ils recourent à des prestataires, que ce soit pour la comptabilité, la fabrication des sacs ou les logiciels de gestion. Ces démarches s'apparentent le plus souvent à une corvée, « qu'ils font lorsqu'ils s'installent et sur laquelle ils ne reviennent plus. Ce qui est parfois un tort », déplore Marion -Baudouin, déléguée de l'association Libraires en Rhône-Alpes. « Hormis ces passages obligés, la prestation en librairie reste peu naturelle, confirme Leslie Vega, directrice du service de remplacement des Libraires volants à Paris. Sans doute parce que c'est une notion liée à l'entrepreneuriat et que, globalement, les libraires ne s'envisagent toujours pas comme des entrepreneurs. »

« Les libraires ne s’envisagent toujours pas comme des entrepreneurs. » Leslie Vega, Les Libraires volants- Photo OLIVIER DION

Manque de temps

Pourtant, depuis quelques années, le recours à la prestation s'accroît. Devant l'évolution du métier, et les différentes exigences qui en découlent, les libraires hésitent de moins en moins à faire appel à des acteurs extérieurs. « Ils se rendent bien compte qu'ils doivent apporter de plus en plus de services à leurs clients, qu'ils n'ont pas forcément le temps ou les compétences pour les mettre en œuvre mais que ne pas les proposer revient à envoyer leurs clients directement à la concurrence », observe Xavier Milon, fondateur de Diffuzia, une société spécialisée dans la communication et la relation client. A Amiens, la librairie Martelle s'est adjoint les services d'un prestataire spécialisé pour réfléchir à l'installation de casiers connectés permettant de récupérer des commandes, un service qu'elle espère pouvoir proposer prochainement à ses clients.

« Les libraires ne peuvent plus faire autrement que de passer par ces outils que développent les prestataires. » Matthieu de Montchalin, L’Armitière - Photo OLIVIER DION

Autre facteur favorisant l'intervention de prestataires, le manque de temps chronique chez les libraires. « C'est une de leurs grandes données. Aujourd'hui, ils recherchent des solutions clés en main pour gagner du temps et automatiser certaines tâches », constate Christophe Chmiel, directeur exécutif Data services et systèmes d'information chez Electre (société également éditrice de Livres Hebdo). Une donnée qu'intègre la société éditrice de bases de données en proposant la fabrication de mini-sites événementiels permettant aux libraires de « communiquer rapidement avec leurs lecteurs et leurs partenaires », détaille Christophe Chmiel. Parallèlement, il réfléchit à un service de conciergerie général capable de prendre en charge une multitude de tâches informatiques que les libraires ne maîtrisent pas toujours ou qu'ils peinent à articuler.

Aujourd'hui, la prestation en librairie se développe principalement sur des postes tels que la création de sites Internet, la gestion des réseaux sociaux ou de la communication extérieure, l'agencement des magasins voire la réalisation de vitrines. A Lille, Fantine Gros et Alix Mutte, créatrices de La Lison, recourent deux fois par an à une artiste illustratrice, Cloük, pour réaliser leurs vitrines. « Nous l'avons fait pour l'ouverture de la librairie, comme une sorte de cadeau que nous offrions à nos clients. Nous nous sommes alors rendu compte de l'impact que cela avait sur eux, et notamment sur les enfants, qui regardaient la vitrine comme un vrai spectacle », explique Fantine Gros. Depuis, elles réservent cette prestation, d'un montant de 200 euros, pour des moments exceptionnels comme Noël ou l'été, où la vitrine reste en place quasiment deux mois. « Comme la librairie est fermée durant trois semaines, c'est important de laisser une trace à nos clients, une expression réalisée par une professionnelle », ajoute Fantine Gros.

L'organisation des animations constitue aussi un secteur où la prestation gagne du terrain. Chronophage, mais devenu un indispensable du métier, ce poste est régulièrement confié à des tiers, amis de la librairie, journalistes locaux, modérateurs ou agences professionnelles, qui officient souvent à titre gracieux. Créatrice de ComJ, qui propose des ateliers jeunesse tout prêts, Stéphanie Malléa a vu en 2018 les demandes s'intensifier. Mais consciente de la situation économique de ses anciens confrères, elle a choisi de leur offrir ses prestations. Pour financer ses activités, elle se tourne donc vers les éditeurs avec qui elle conçoit les animations. Un modèle qu'a également adopté Matthieu de Montchalin, propriétaire de L'Armitière à Rouen, pour lancer en France le service Edelweiss, un outil de pré- et de surdiffusion (1). Même si la nécessité de déléguer certains pans de l'activité est réelle chez les libraires, le coût de la prestation reste encore un frein à sa mise en pratique . « Les coûts obligatoires comme les bases de données, les logiciels de gestion ou les sites Internet, sont déjà élevés pour les libraires. Ils ne sont donc pas demandeurs de coûts supplémentaires », constate Matthieu de Montchalin.

Risques d'éparpillement

La mutualisation ne parvient pas à surmonter cet obstacle. Malgré des tentatives engagées dans certains secteurs, comme les assurances, la mutuelle, le coût de certaines prestations informatiques, la comptabilité ou plus basiquement la sacherie, il reste difficile aux associations régionales ou aux instances nationales de recueillir l'adhésion des libraires sur ce sujet. « Sur beaucoup de points, ils préfèrent souvent la proximité et des partenaires locaux, qu'ils connaissent parfois de longue date, indique Romain Plyer, secrétaire général des Libraires ensemble. La mutualisation intervient plus naturellement sur des prestations moins liées à l'univers du livre, telles que la relation client, ou sur des problématiques innovantes ou techniques. » Pour mettre en place son service de livres d'occasion, un sujet particulièrement technique, le groupement a fait appel à Nusseo, prestataire du groupe Gibert, qui gérera, pour chaque librairie du groupement intéressée, la reprise des livres déposés en magasin par les clients. Certaines associations professionnelles ont mis en place des annuaires de « bons plans » permettant d'échanger les coordonnées de prestataires de qualité. Libraires en Rhône-Alpes propose ainsi cette rubrique sur son site Internet, tout comme les Libraires ensemble. Plus généralement, les groupements de libraires se révèlent des interlocuteurs privilégiés pour les prestataires. Comme la profession reste très émiettée et qu'il est difficile, et peu rentable, d'aller chercher un à un les libraires, ces derniers « offrent une bonne dynamique et permettent de toucher rapidement un certain nombre de professionnels », confirme Xavier Milon. Au risque toutefois de sursolliciter ces libraires-là et d'oublier ceux n'appartenant à aucun réseau.

Les manifestations comme les Rencontres nationales de la librairie (RNL), qui rassemblent cette année plus de 800 libraires, constituent un autre canal apprécié des prestataires (voir encadré ci-dessous). « Avoir la possibilité d'être en contact avec autant de libraires est inespéré. Accueillir et présenter une palette de prestataires constitue l'un des rôles des RNL, tout comme ça devrait l'être à Livre Paris, assure Matthieu de Montchalin.C'est vraiment un service rendu à la profession : dans un marché qui ne progresse plus et où la rentabilité des librairies reste faible et où leurs marges, fixées par des fournisseurs, ne parviennent pas à bouger, le seul moyen pour compenser les frais généraux et augmenter la rentabilité reste les gains de productivité. Or, pour les obtenir, les libraires ne peuvent plus faire autrement que de passer par ces outils que développent les prestataires », poursuit l'ancien président du Syndicat de la librairie française. Au risque, toutefois, de les multiplier sans les exploiter pleinement et de s'éparpiller. « Les libraires n'utilisent que 20 à 30 % des capacités de leurs logiciels de gestion, affirme Daniel Derozier, fondateur et gérant de la SS2I 2DCOM.S'ils parvenaient à l'exploiter à 50 %, ils gagneraient déjà beaucoup de temps. »

 

(1) Voir LH 1166 du 16.3.2018, p. 36.

Un renouveau des SS2I

Depuis deux ans, deux nouveaux acteurs se sont invités sur le marché des logiciels de gestion en librairie, historiquement réparti entre quatre opérateurs.

« Les prestataires extérieurs évoluent plus vite. » Romain Plyer, Les Librairies ensemble- Photo OLIVIER DION

Concentré le marché de la prestation informatique en librairie ? « On est sur un quasi-monopole, confirme Leslie Véga, directrice du service de remplacement des Libraires volants à Paris. C'est très visible lorsque des porteurs de projets de librairie demandent des conseils pour choisir leur équipement. Leurs futurs confrères leur recommandent toujours les mêmes logiciels, en pointant leurs défauts, mais personne ne pense à aller voir s'il existe autre chose ailleurs. »

Pourtant, depuis deux ans, deux nouvelles solutions ont fait leur apparition sur le marché. Exploités respectivement par Leslibraires.fr, qui appartient à la librairie Dialogues à Brest, et par la société suisse CDI, qui équipe la moitié des libraires helvètes et Mollat en France, G-stock et Bookshop tentent de se faire une place à côté des prestataires historiques que sont TMIC (logiciel Ellipses), Tite-Live (Médiablog), Praxiel (Inférence) et 2DCom (Librisoft). A l'origine développés, ou adaptés, pour une seule librairie, ces nouveaux venus équipent aujourd'hui une quinzaine de points de vente, comme Ici à Paris, L'Armitière à Rouen ou L'Esperluette à Chartres, et cherchent à séduire là où leurs concurrents font défaut. En proposant des solutions entièrement en ligne, ils misent par exemple sur la légèreté, la mobilité et la souplesse. Et permettent également une réduction sensible des coûts. Accessibles depuis n'importe quel navigateur web, G-stock et Bookshop économisent la présence d'un serveur dans les gros magasins et la nécessité du poste fixe. « Posséder une bonne connexion Internet est la seule contrainte que nous exigeons, explique Andrée Berra, responsable commerciale et projets de CDI en France. Il suffit d'un ordinateur portable pour commencer à utiliser Bookshop. »

Autre préoccupation de ces deux acteurs, coller à l'évolution du métier. G-stock offre l'interopérabilité avec d'autres plateformes, qui permet la remontée de stock vers les différents portails Internet et l'Observatoire de la librairie, tout comme l'intégration de la dématérialisation des factures, des avis d'expédition, de PNB ou de la plateforme Chorus, qui permet d'envoyer les factures aux collectivités et de percevoir les règlements plus rapidement. « Ce sont des services indispensables aux libraires aujourd'hui, qui leur permettent d'engranger des gains économiques certains, défend Nina Stavisky, directrice commerciale des Libraires.fr. Le but de nos solutions reste d'accompagner la profession, de créer des outils adaptés et de ne surtout pas en être l'élément limitant. »

Performantes techniquement, les SS2I historiques, qui ont contribué à la structuration informatique du métier, essuient parfois les reproches des libraires, qui les trouvent coûteux et pas assez à l'écoute de leurs demandes. « Cette image provient sans doute d'une forme de routine qui s'est installée chez les SS2I, analyse Nina Stavisky, qui a travaillé chez Tite-Live avant de s'occuper de l'Observatoire pour le Syndicat de la librairie française et de rejoindre Leslibraires.fr. Comme chaque développement demandé par les libraires a donné lieu à des devis faramineux, cela a conduit ces derniers à ne plus demander quoi que ce soit, même des services indispensables à leur métier. »

Pour contourner le problème, certains libraires sont allés chercher à l'extérieur de nouveaux services. Pour leur programme lié à la relation client et à la carte de fidélité, les Libraires ensemble ont fait appel à Gowento, une société spécialisée dans la communication par les smartphones, qui a travaillé avec Relay ou la Fnac. « Sur certains points, des prestataires extérieurs au milieu de la librairie évoluent plus vite. C'est pour cela qu'il est plus intéressant d'aller les chercher », confirme Romain Plyer, secrétaire général des Libraires ensemble. Une manière aussi de nouer des relations plus équilibrées. Clients de ces prestataires, les libraires ont eu tendance à reproduire avec leurs SS2I les rapports entretenus avec les diffuseurs. « C'est oublier qui doit être au service de qui », affirme Nina Stavisky, qui promet, chez Leslibraires.fr, une adaptation aux besoins spécifiques de chacun.

28.06 2019

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