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Dossier Poche: un territoire prisé

La librairie L'Ecume des pages, à Paris - Photo OLIVIER DION.

Dossier Poche: un territoire prisé

Un cycle de renouvellement des cadres s'est amorcé en octobre dans le secteur du poche avec l'arrivée de plusieurs éditeurs venus du grand format. Ils contribuent à créer l'événement autour des parutions à petit prix, un secteur que sa résistance dans un marché en berne rend hautement stratégique.

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Par Isabel Contreras,
Créé le 12.04.2019 à 12h29

Dernier recrutement en date : Béatrice Duval deviendra, « très prochainement », la directrice générale du Livre de poche, a annoncé le 11 mars le groupe Hachette. Cette annonce met un terme à deux mois d'attente à la suite de la nomination de Véronique Cardi à la présidence de JC Lattès, et clôt le mercato à la tête des grandes maisons de poche entamé en novembre. Après le départ de Thierry Diaz, Adrien Bosc est devenu à la fin de l'année dernière le directeur général de Points. A peine trois mois plus tard, Hélène Fiamma était nommeée directrice de J'ai lu en remplacement de Jocelyn Rigault. A la même période, chez Univers Poche, Charlotte Lefèvre prenait la direction éditoriale de Pocket, sous la houlette de Marie-Christine Conchon. Carine Fannius succédait, elle, à Anne-France Hubau chez Sonatine tout en conservant la direction éditoriale de 10/18.

Anne Assous, Folio Gallimard- Photo OLIVIER DION

Secteur stratégique

Ces mouvements s'inscrivent dans un marché du livre où le poche apparaît, plus que jamais, comme un secteur refuge et hautement stratégique pour les principaux groupes. A - 1 % en 2018 , selon nos données Livres Hebdo/ I+C, le marché des livres à petit prix, consolidé depuis 2015, résiste mieux que la moyenne du marché du livre. Les ventes globales sont en baisse de 1,7 % par rapport à 2017, soit la plus forte baisse de ces dix dernières années. « Nous restons structurellement forts », commente Anne Assous, directrice des collections Folio (Gallimard).

Sabrina Arab, HarperCollins- Photo OLIVIER DION

Adrien Bosc, Béatrice Duval, Hélène Fiamma... Ces trois éditeurs nouvellement nommés ont un point commun : leur expérience dans le grand format. Si les deux éditrices ont déjà fait des incursions dans le poche, elles arrivent renforcées par leur expérience passée chez Denoël pour Béatrice Duval, et chez Payot & Rivages pour Hélène Fiamma. Quant à Adrien Bosc, il fait ses premiers pas dans le secteur après avoir entrepris une carrière dans l'édition indépendante, aux éditions du Sous-sol qu'il a créées, puis au Seuil où il reste aujourd'hui directeur de l'édition. « Attirer des éditeurs grand format vers le poche c'est aussi une manière de capter de nouveaux auteurs », pointe Anne Assous.

Adrien Bosc, Points- Photo OLIVIER DION

Ces éditeurs arrivent pour créer des événements autour des parutions, les méthodes du poche étant aujourd'hui plus que jamais calquées sur celle du grand format. La présence des auteurs sur le terrain à l'occasion d'une sortie poche est devenue la norme. Les médias sont eux aussi de plus en plus sensibles aux livres à petit prix. Pour le lancement de La colonne de feu de Ken Follett, Le Livre de poche a organisé début mars une conférence au couvent de Bernardins, à Paris. Quelque 250 personnes ont répondu « présent » à cet événement où l'auteur s'est longuement prêté aux sollicitations de son public. La même semaine, il a participé à deux émissions culturelles. Aujourd'hui, des romanciers tels Gilles Legardinier, Guillaume Musso ou Agnès Martin-Lugand ne manquent pas les manifestations littéraires dédiées au poche comme Lire en poche à Gradignan ou Saint-Maur en poche, en région parisienne. « Le lancement d'un poche est traité comme une vraie actualité. Voilà pourquoi nous avons réussi ces dernières années à démultiplier les ventes de certains auteurs et à créer des phénomènes à partir de livres qui n'avaient pas été des best-sellers en grand format », met en avant la directrice générale du Livre de poche, Véronique Cardi.

Benjamin Guérif, Gallmeister- Photo OLIVIER DION

Tirages astronomiques

L'économie du secteur est dominée par une poignée de romanciers contemporains, dont plusieurs ont émergé ces cinq dernières années. Aurélie Valognes ou Virginie Grimaldi font les beaux jours du Livre de poche. Univers Poche vend à plusieurs centaines de milliers d'exemplaires « Raphaëlle Giordano ou Paula Hawkins [qui] s'apparentent aujourd'hui à de véritables long-sellers », remarque son P-DG Marie-Christine Conchon. Chez Folio, le phénomène mondial L'amie prodigieuse d'Elena Ferrante se maintient dans le classement des meilleures ventes depuis janvier 2016. L'enjeu économique est grand pour ces auteurs aux ouvrages à tirages astronomiques. Au sein de la filiale poche de Gallimard, qui a progressé de 5 % l'an dernier, Anne Assous fait valoir quatre succès en douze mois : Chanson douce de Leïla Slimani, Le mystère d'Henri Pick de David Foenkinos et deux volets de la série L'amie prodigieuse se sont écoulés à plus de 350 000 exemplaires chacun.

Cette dynamique autour de la fiction contemporaine a permis en 2018 au Livre de poche de doubler Pocket en termes de parts de marché à 20,2 %, d'après GFK. La marque d'Editis talonne toutefois la filiale d'Hachette en conservant 19,2 % de parts de marché. Mais cet écart devrait s'accentuer en 2019. Le transfert de Guillaume Musso, édité depuis 2017 chez Calmann-Lévy (Hachette), a entraîné en 2018 l'arrivée du plus gros vendeur de livres au Livre de poche, filiale du groupe, alors qu'il avait toujours été réédité chez le concurrent Pocket (Editis). Ce dernier a aussi vu partir, quelques mois auparavant, quatre autres auteurs : Agnès Ledig, Eric Giacometti et Jacques Ravenne ainsi que Danielle Steel. Si les trois premiers ont également choisi de passer leurs prochaines nouveautés en poche au Livre de poche, la quatrième a décidé d'intégrer HarperCollins France. Ce groupe éditorial a bénéficié, la même année, de l'arrivée de Don Winslow, jusqu'ici réédité chez Points.

HarperCollins France compte bien faire peser ses « best » autour d'une structure poche ad hoc qui devrait voir le jour en janvier 2020. « Aujourd'hui, nos auteurs paraissent en petit format dans une collection dédiée. A partir de l'année prochaine, nous allons structurer ces parutions afin d'établir un équilibre entre nos auteurs à fort potentiel commercial et des acquisitions extérieures au groupe. Nous souhaitons garder un catalogue de nouveautés resserré d'environ 70 titres par an », annonce Sabrina Arab, la directrice éditoriale en France.

Logiques de groupe

La concentration éditoriale s'accentue en raison des « logiques de groupe », terme utilisé pour définir la circulation naturelle entre les titres grand format et leur poche au sein d'un même groupe. La présidente de Flammarion et de sa filiale poche J'ai lu, Anna Pavlowitch, ne cache pas son envie de fluidifier davantage cette circulation au sein du groupe Madrigall. « J'ai lu et Folio sont deux maisons de poche puissantes et identifiées permettant d'établir une synergie efficace entre le poche et le grand format », déclare-t-elle. Cette stratégie pourrait renforcer la place de la littérature blanche contemporaine au sein de J'ai lu, dont le catalogue éclectique a été beaucoup enrichi ces dernières années par des feel-good et autres comédies sentimentales.

Après avoir accusé, en 2018, un repli de 7 % par rapport à 2017, la filiale poche du Seuil, Points, redéfinit aussi son positionnement. « Nous n'allons pas passer d'une course à l'approvisionnement extérieur à une priorité à l'approvisionnement intérieur. Toutefois, l'approvisionnement intérieur doit être regardé dans son potentiel et dans la capacité que nous avons à le transformer », explique Adrien Bosc.« Je comprends le pari qui a été fait ces dernières années d'appuyer un segment de littérature populaire. Mais cela, en contrepartie, n'a pas permis de soutenir au mieux des titres maison qui étaient, parfois, à plus gros potentiel. Je peux, par exemple, citer le dernier roman d'Arturo Perez-Reverte [Deux hommes de bien, Seuil, 2018, NDLR], dont le potentiel estival et très grand public n'a pas été activé en plein », poursuit-il.

Tous ces bouleversements couplés à la bonne santé du rayon poche poussent les éditeurs de grands formats à s'interroger pour leurs cessions dérivées.« Les grandes maisons de poche ont un savoir-faire auquel nous ne pouvons pas nous substituer. Cependant, nous sommes obligés de mener une réflexion sur l'exploitation en poche d'un grand format qui est devenu un phénomène chez nous », réagit Geoffroy Fauchier-Magnan. Responsable des droits aux Arènes, il est régulièrement sollicité par les grandes maisons de poche à propos de la réédition du succès mondial,La vie secrète des arbresde Peter Wohlleben. « Nous nous sommes posé la question de le rééditer nous-mêmes mais nous allons finalement céder les droits. En revanche, nous ne procéderons pas aux enchères tout de suite, le grand format se vend encore très bien », précise-t-il.

Gallmeister a pris une position tranchée : « nous ne cédons plus un seul titre aux autres maisons d'édition depuis la-création de notre collection de semi-poche, Totem, en 2011,-déclare-Benjamin Guérif.L'un de nos derniers succès,Dans la forêtde Jean Hegland, s'est vendu à plus de 50 000 exemplaires et les réimpressions sont constantes.» La maison a même embauché une deuxième personne au commercial pour « mieux défendre les poches en librairie ». D'autres éditeurs comme Liana Levi,-Viviane Hamy ou Payot & Rivages ont aussi choisi d'exploiter leurs ouvrages en format poche. Une situation qui risque d'accentuer encore, à terme, la concurrence au sein du secteur.

Aux petits soins des libraires

Bénédicte Gimenez, Pocket- Photo OLIVIER DION

Depuis cinq ans, les principales maisons de poche ont des responsables des relations libraires. « Nous venons apporter des grilles de visibilité sur notre production afin de faciliter la tâche des libraires », explique Marie Foache aux relations presse et libraires de J'ai lu. « Nous traduisons en librairie une impulsion donnée par l'équipe éditoriale », précise Bénédicte Gimenez, responsable libraires chez Univers Poche.

Marie Foache, J'ai lu- Photo OLIVIER DION

La stratégie de mise en marché du poche repose sur un besoin d'être partout, tout le temps, et de muscler les réseaux là où un éditeur serait plus faible. Historiquement puissant en grande surface culturelle et en hypermarché, Pocket accentue depuis quelques années sa communication auprès du premier niveau. Après le phénomène créé avec Le gang des rêves de Luca Di Fulvio (plus de 130 000 exemplaires poche depuis 2017), impulsé notamment par des libraires indépendants, la marque d'Univers Poche a lancé l'année dernière des « révélations Pocket » : 12 coups de cœur littéraires dont plusieurs acquisitions extérieures comme La note américaine de David Grann, initialement paru chez Globe, ou Circé de Madeline Miller, cédé par Rue Fromentin. En parallèle, des actions ciblées sont menées régulièrement. « C'est une communication tout en dentelle. Nous fournissons aux libraires du matériel sur mesure », ajoute Bénédicte Gimenez. Cette responsable librairie a monté, en moins de quinze jours, une exposition à la librairie Le Divan, à Paris, à l'occasion de la sortie poche d'Une très légère oscillation, de Sylvain Tesson. Elle envoie aussi des affiches personnalisées aux libraires qui le souhaitent. « Tout cela est doublé d'envoi d'épreuves, une nouveauté très appréciée par les professionnels », poursuit-elle.

Inventivité

J'ai lu, éditeur reconnu pour son catalogue populaire, redouble aussi d'inventivité pour attirer l'attention des habitués des librairies indépendantes. Marie Foache peut « tout aussi bien créer une vitrine personnalisée chez Gibert comme des smartbox girly ou des quiz autour d'auteurs afin d'animer les soirées de rencontres... Toujours dans la débrouille ! », lance-t-elle. Ces initiatives ont pour but d'adapter le plan communication et marketing au plus près du contenu et de l'esprit du livre.

Pour la sortie poche de Sur les chemins noirs de Sylvain Tesson, Folio a reconstitué la carte du parcours à pied effectué par l'auteur dans le livre pour s'adresser aux libraires et lecteurs qui étaient sur la route. « C'était cohérent comme lancement. Nous avons voulu ne rien négliger, ne rien rater. Nous sommes allés chercher les lecteurs partout en France, y compris dans certaines zones isolées, évoquées au cours du récit », précise Laetitia Legay, responsable marketing de Folio.

L'inventivité des démarches est couplée, en librairie, avec de l'événementiel capable d'attirer un public nombreux, moins familier de ce lieu culturel. La marque d'Univers Poche, 10/18, a mis en novembre dernier les petits plats dans les grands pour le 35e anniversaire de grands détectives avec un escape game géant organisé chez Mollat, à Bordeaux. « Nous avons réuni 1 300 personnes ! 40 étudiants du Cours Florent à Bordeaux ont été associés pour incarner les figures emblématiques de la collection. Une manière ludique de partager le goût pour la lecture », se félicite la directrice éditoriale, Carine Fannius. Toujours chez Mollat, Folio a organisé une projection du film Le mystère d'Henri Pick avec les équipes de la distribution Gaumont. « Nous avons ainsi suscité un échange entre cinéastes et lecteurs », se réjouit Anne Assous.

Le Livre de poche, champion de la création de goodies en tous genres, est venu renforcer le travail du libraire « en se mettant à sa place pour un jour », explique Véronique Cardi. En 2017, l'équipe éditoriale s'est déplacée en nombre à Lille, pour appuyer la vente d'une sélection de coups de cœur aux côtés des libraires du Furet du nord. Cette année, l'opération s'est déroulée dans les Relay de l'aéroport d'Orly et de la gare de Lyon avant l'été, l'une des périodes les plus propices pour l'achat d'un poche. « Cette action couvrait les quinze jours avant le départ en vacances, fin juin début juillet. Nous proposions une sélection aux personnes qui partaient en voyage : pour l'achat de deux livres, on leur en offrait un troisième ainsi que des goodies », explique Véronique Cardi. Cette politique est une émanation d'une autre initiative menée depuis 2014 par Le Livre de poche, Le Camion qui livre.

En parcourant les plages de France à bord d'un camion remplit de livres, « nous allons à la rencontre des lecteurs dans une approche personnalisée », souligne Sylvie Navellou, directrice marketing et communication du Livre de poche. Cette opération est, au demeurant, financièrement bénéfique pour deux branches du groupe Lagardère, Hachette Livre (propriétaire du Livre de poche à 60 %) et Lagardère Travel Retail, filiale du groupe à laquelle appartient Relay.

Partenariats

Chez Points, la diffusion suscite aussi une « attention de tous les instants » et le nouveau directeur, Adrien Bosc, souhaite « renforcer sa présence dans le premier niveau » en étoffant d'abord la direction commerciale et marketing, avec l'arrivée de Nicolas Cluzeau, ancien directeur des ventes chez Interforum.

Parmi ses différents projets, des partenariats avec les médias.« Pour mettre en valeur notre collection « Signatures », nous allons créer un projet transmédia entre radio et journal pour faire entendre une conversation avec un écrivain qui présente un livre en même temps que sa bibliothèque », explique le directeur général. Chez Folio, l'expérience a déjà été menée avecTélérama. Depuis deux ans, l'éditeur de poche propose le prix des Libraires Folio, en partenariat avec l'hebdomadaire culturel. Pour Anne Assous, le milieu du livre« a un point en-commun avec les médias : nous recherchons tous des lecteurs. Alors dans ce cas-là : pourquoi pas unir nos forces ? ».

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