Avant-critique Roman

Douglas Kennedy, "Et c'est ainsi que nous vivrons" (Belfond)

Douglas Kennedy - Photo © AFP - JOEL SAGET

Douglas Kennedy, "Et c'est ainsi que nous vivrons" (Belfond)

Avec Et c'est ainsi que nous vivrons, Douglas Kennedy imagine le futur proche et terriblement réaliste d'un État désuni.

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Par Laëtitia Favro,
Créé le 02.06.2023 à 09h00 ,
Mis à jour le 13.06.2023 à 17h48

La nuit américaine. 2045. Les États-Unis d'Amérique n'existent plus, scindés en deux nations irréconciliables. Sur les côtes Est et Ouest, une République où se conjuguent liberté de mœurs et surveillance collective. Au centre, une Confédération, théocratie où le sexe hors mariage est illégal, où la bannière étoilée s'accompagne systématiquement de crucifix et où il est interdit de plaisanter en public au sujet du Christ. « Nos deux pays sont pareils à ce qu'il reste d'un couple après le divorce le plus amer et le plus violent qui soit : conscients qu'il était impossible de rester ensemble, mais toujours débordants de rancœur plutôt que de soulagement » songe Samantha Stengel, agente des services secrets de la République. Bien que son poste lui interdise de laisser transparaître ses émotions, Sam est bouleversée. Maxime, l'une de ses indics devenue son amie, a été mise à mort par le camp adverse, son exécution diffusée en direct sur la chaîne nationale. Breimer, son supérieur, lui apprend par ailleurs qu'elle est la cible d'un « désamorçage » - le terme officiel pour assassinat. Et que l'agente confédérée en charge de cette mission n'est autre que sa demi-sœur, Caitlin Stengel.

Alors qu'elle s'apprête à subir des opérations de chirurgie esthétique visant à modifier ses empreintes digitales, la couleur de ses yeux et le tracé de leur iris, Sam se souvient de ses parents en train de danser dans leur salon le soir où Barack Obama avait été élu président en 2008. Son père lui avait dit alors : « Quand tu seras grande, tu te souviendras de ce jour comme de celui où l'Amérique a fait peau neuve. » Puis « le moment où tout a basculé, où les divisions grandissantes au sein de la population américaine sont devenues irréparables » était survenu en 2016, avec l'élection de Donald Trump. Ensuite aggravé par le massacre de Cleveland, le 11-Septembre de la génération de Sam. « Mais là il n'était plus question de terrorisme international, des Américains s'en prenaient à des Américains. C'était sans doute là le plus horrible. »

Prolongeant le portrait de l'Amérique d'aujourd'hui initié avec Les hommes ont peur de la lumière (Belfond, 2022), Douglas Kennedy allie son art de la fiction à l'observation de l'actualité telle qu'elle est en train de s'écrire ou pourrait s'écrire dans un futur à la fois proche et vraisemblable. Sous sa plume, la Chine occupe Taïwan, le Congrès américain a voté une loi pour interdire la dépénalisation de l'avortement, la presse publique ne reçoit plus de subvention et le papier n'a plus d'utilité. « La Sécession : notre seul espoir d'avenir » prône par ailleurs le multimilliardaire de la tech élu à la tête de la République Morgan Chadwick, dont les discours ne sont pas sans rappeler ceux d'un Elon Musk. Si l'on s'attache à l'héroïne et suit fiévreusement sa mission en territoire adverse, on est également troublés par le mirage de ce monde si proche du nôtre que Douglas Kennedy esquisse avec finesse. Parce qu'il instille en nous des images comme seule la fiction sait le faire, Et c'est ainsi que nous vivrons s'affirme comme l'avertissement assumé d'un écrivain ancré dans une ultra-contemporanéité dont il saisit les dérives sans avoir besoin (et là réside le plus terrible) de les accentuer.

Douglas Kennedy
Et c'est ainsi que nous vivrons Traduit de anglais (États-Unis) par Chloé Royer
Belfond
Tirage: 80 000 ex.
Prix: 22,90 € ; 336 p.
ISBN: 9782714493231

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