« Il y a souvent la mort qui rôde ou des disparus et des quêtes. Je me sens porteuse d'absences, de fausses couches, de morts cachées, de silence, d'avortements, de disparitions violentes, d'amis suicidés et d'enfants abandonnés. Est-ce cela qui me fait me sentir si bouleversée par la vie de ce grand-oncle disparu ? » Celle qui écrit ces lignes parle de ceux qui traversent ses livres. C'est Douna Loup, qui, de L'embrasure (Mercure de France, 2010) aux Printemps sauvages (Zoé, 2021), compose une œuvre ouverte aux vents de ses libertés douloureuses. Cette fois-ci, pour ce cher disparu, elle s'est fait une douce violence : la première personne du singulier.

Lui, le grand-oncle, c'est Boris. Boris Weisfeiler, porté manquant un jour de janvier 1985 lors d'une grande randonnée pédestre dans le Chili du sinistre Augusto Pinochet. Il avait 44 ans. Curieux oiseau solitaire et doux que ce Boris. Il allait dans la vie d'un pas prudent et gracieux. Cet enfant de l'URSS, tourmenté comme un Russe et secret comme personne, issu d'une famille juive, avait vu les fées des mathématiques se pencher sur son berceau. Ce  fut son bonheur et sa malédiction. En ces années où la guerre froide paressait, il y avait des dons mieux portés que d'autres... Il doit s'exiler aux États-Unis pour y exercer plus librement ses talents. Silhouette élancée, nanti d'un large sourire qu'il dispense généreusement, Boris est aimé partout où il passe (même si ses nombreux amis ne lui connaissent pas de vie amoureuse). Et notamment dans ces contrées sauvages où de plus en plus souvent il part randonner seul, comme à la poursuite de lui-même. Comme en ce début d'année 1985 au Chili, où il disparaît après une ultime promenade non loin de la tristement célèbre Colonia Dignidad, refuge pour nazis nostalgiques et séides du régime de Pinochet...

Trente-cinq ans plus tard, voilà donc sa petite-nièce, Douna, partie sur ses traces, de Chicago (où dès les premiers jours de son voyage, elle se brise la jambe, comme un sombre avertissement...) à Santiago en passant par Moscou. Boris n'est nulle part et Boris est partout. Dans le souvenir des siens et les mensonges des témoins de son ultime escapade. Douna le cherche et c'est elle, bien sûr, qu'elle trouvera.