Dumas et Maquet sont à l’affiche. Pas sûr que la sortie de L’Autre Dumas, le film où Gérard Depardieu et Benoît Poelvoorde campent le fameux tandem d’écrivains, dope le chiffre d’affaires des librairies. Les ventes d’Alexandre — réhabilité depuis quelques années, voire panthéonisé — et surtout celles d’Auguste (aux œuvres quasi-introuvables, hormis son Histoire de la Bastille) attendront donc d’autres occasions. En revanche, l’édition peut toujours méditer la leçon de ce fructueux, puis tumultueux, partenariat. Car le « nègre » (Maquet) attaqua en justice le quarteron de génie (Dumas), dans le but de se faire reconnaître la paternité de nombreux romans. La débâcle de Maquet fut prononcée par la Cour d’appel de Paris en 1859. Ses héritiers essuyèrent une nouvelle déroute en plaidant pour que son nom figure… sur le socle d’une statue à la gloire d’Alexandre le très Grand. Il ne faut pas se tromper à la lecture de ces décisions judiciaires : elles ont aujourd’hui autant de pertinence juridique que si leur rédaction avait été confiée aux scénaristes d’ Avatar . La jurisprudence a, depuis cent cinquante ans, fortement évolué en faveur des Ghost Writers . Elle n’admet plus de nos jours la validité des clauses par lesquelles ils renoncent à voir leur nom figurer sur le livre. Aux termes du Code de la propriété intellectuelle, le droit au respect du nom, c’est-à-dire cet attribut moral de tout auteur qui lui permet de faire apposer son nom et sa qualité sur chaque reproduction de son œuvre, est en effet incessible. Le rewriter en mal de reconnaissance pourra donc remettre en cause tous les arrangements, et revendiquer la mention de son nom en tant qu’auteur ou coauteur ainsi que le versement d’une rémunération appropriée au succès du livre. De nombreux nègres ne s’en sont pas privés ces dernières années, et les éditeurs récalcitrants ont été maintes fois condamnés. Les tribunaux ont même estimé que l’auteur « officiel » du livre ne peut valablement reprocher à son éditeur de faire figurer le nom du nègre en qualité de coauteur… Reste au nègre belliqueux à prouver son intervention. L’article L. 113-1 du Code dispose que « la qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l’œuvre est divulguée. » Le nègre devra donc prouver son rôle dans le processus de création. Les proches d’un auteur, qui peuvent l’avoir peu ou prou guidé dans son travail, sont ainsi parfois enclins à vouloir apparaître au grand jour. Les héritiers de Julia Daudet, épouse d’Alphonse, tout comme la veuve de Jean Bruce, le créateur d’OSS 117, avaient vainement tenté de faire valoir une revendication de cet ordre. Des rewriters, tout comme des correcteurs ou même des imprimeurs, se sont également vu dénier le titre de coauteur. Mais l’existence de manuscrits à quatre mains, de correspondances (y compris de mails), le versement d’une rémunération et a fortiori la conclusion d’un contrat avec l’éditeur ne pourront que faciliter la tâche du nègre qui cherche à sortir de l’ombre par la voie judiciaire. La seule solution juridiquement sûre consiste bien évidemment à porter, dès le départ, le nom du nègre sur le livre (au pire sous la formule « avec la collaboration de ») et à le faire bénéficier d’un pourcentage substantiel sur les ventes. Enfin, rappelons que l’accusation d’avoir eu recours aux services d’un nègre a été considérée comme diffamatoire à l’occasion de la parution du livre de Simone Signoret, La Nostalgie n’est plus ce qu’elle était… Les mœurs éditoriales non plus !  
15.10 2013

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