Livre numérique

Ebook : un décollage en douceur

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Ebook : un décollage en douceur

Beaucoup d’éditeurs l’ont constaté : les ventes numériques ont décollé en 2013. Le marché français reste toutefois limité, car tous les acteurs en place privilégient un développement maîtrisé. La BD pense au potentiel des ventes à l’étranger.

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Par Hervé Hugueny
Créé le 31.01.2014 à 00h43 ,
Mis à jour le 03.04.2014 à 17h10

Chez Flammarion, les ventes de livres numériques ont doublé l’an dernier, en phase avec la tendance constatée. "Mais elles ne représentent encore que 0,6 % du volume d’affaires global", nuance Pascale Buet, directrice de la diffusion du groupe. Ce qui fait quand même 1,3 million d’euros de recettes, soit le chiffre d’affaires d’une petite maison d’édition. C’est environ un tiers de celui de La Musardine, spécialisée dans la littérature érotique, un des secteurs qui bénéficient le plus de ce nouveau canal de vente. "A environ 350 000 euros, le numérique a atteint l’an dernier 12 % de notre chiffre d’affaires, et a doublé par rapport à l’année précédente", estime Anne Hautecoeur, responsable éditoriale. Le best-seller est Sex in the kitchen d’Octavie Delvaux, "vendu à 3 000 exemplaires en version numérique, pour 12 000 en papier". Dans le groupe Flammarion, c’est aussi l’érotique qui cartonne, avec la trilogie, publiée sous la marque J’ai lu, de Sylvia Day (Dévoile-moi, Regarde-moi, Enlace-moi), qui totalise 40 000 fichiers, soit 14 % de ventes totales.

Lattès, filiale d’Hachette Livre, a ainsi réalisé son meilleur score avec la trilogie Fifty shades, à 220 000 exemplaires d’ePub, soit 6 % du papier. Une fois déduite la remise de 30 % accordée aux revendeurs, sur un prix public de 12 euros, le chiffre d’affaires numérique de cette seule référence atteint 1,8 million d’euros : c’est devenu significatif, mais encore rare. Au premier semestre 2013, la part de ce nouveau canal culminait à 3,2 % du chiffre d’affaires du seul segment littérature générale adulte en France, indiquait le groupe. Chez Robert Laffont (Editis), Arié Sberro, directeur commercial, estime "la part numérique à 5 % du chiffre d’affaires, contre la moitié en 2012". Sans Marc Levy, dont les droits numériques sont exploités par Versilio, la marque éditoriale de son agent Susanna Lea, restée injoignable. Chez 12-21, la marque numérique d’Univers Poche, autre filiale d’Editis, François Laurent, directeur général adjoint, se félicite d’une belle progression pour le premier exercice complet, avec 210 000 ventes, soit presque le double de l’année précédente et un peu plus de 1 % du chiffre d’affaires.

 

Promotions indispensables.

La littérature sentimentale se porte aussi très bien sur écran. "Nous avons vendu plus d’un million d’ebooks l’an dernier, soit 14 % de notre chiffre d’affaires. Nous prévoyons d’atteindre 1,5 million de ventes cette année", annonce Antoine Duquesne, directeur marketing et numérique d’Harlequin. Filiale à parts égales d’Hachette Livre et du groupe canadien Torstar, l’éditeur entretient un catalogue d’environ 4 000 titres. "C’est l’intégralité de notre programmation depuis janvier 2007. Les nouveautés représentent 70 % à 75 % des ventes, mais des titres publiés depuis plusieurs années restent demandés", ajoute-t-il. P.O.L, éditeur très littéraire, fait aussi partie des rares maisons ayant numérisé la quasi-totalité de leur catalogue. "Nous avons 1 053 livres accessibles en numérique, qui a généré 3 % du chiffre d’affaires 2013, le double de 2012", indique Jean-Paul Hirsch, directeur commercial. Il faut beaucoup aimer les hommes (Marie Darrieussecq) représente la meilleure vente en valeur absolue (1 600 exemplaires, soit 1,8 % du papier). "Pour Adèle et moi de Julie Wolkenstein, sorti en janvier 2013, les ventes numériques sont de 5 %." Une proportion supérieure à la moyenne, peut-être due à une demande non satisfaite en librairie, s’interroge le directeur commercial.

 

Gallimard est en revanche loin d’avoir numérisé son fonds gigantesque (24 000 références disponibles dans Electre), et mesure la performance à catalogue comparable, soit "3 à 5 % des ventes des quelque 1 500 titres, avec des pointes supérieures à 10 % pour du polar", constate Eric Marbeau, responsable de la diffusion numérique. Au CDE, qui diffuse les filiales du groupe Gallimard et des éditeurs tiers, la proportion frôle les 2 %, en ne comparant aussi que les références papier disponibles en ePub, précise Mathias Echenay, directeur général. "Pour la totalité du catalogue, c’est 0,3 %", remarque-t-il.

Les ventes numériques se caractérisent cependant par "un cycle très court et sont très concentrées lors du lancement. Dans la durée, leur proportion peut baisser, car les livres ne sont plus mis en avant sur Internet, alors qu’ils restent plus longtemps sur les tables des libraires", constate Mathieu Raynaud, responsable commercial du développement numérique au Seuil. Les promotions sont donc indispensables pour redonner de la visibilité aux titres anciens en les ramenant en haut des listes des meilleures ventes. Les éditeurs gardent toutefois la maîtrise complète des rabais, qu’Amazon sollicite avec insistance pour alimenter son "offre Eclair Kindle", une promotion quotidienne de 24 heures. Le 1er janvier dernier, L’enfant au masque, un polar qui était dans les profondeurs du classement Kindle, remontait en 3e place après une journée à 0,99 euro au lieu de 4,48 euros, pour le bonheur de Philippe Bouin, auteur ayant repris ses droits. Mi-janvier, il était retombé après la 3 500e place. Mais L’héritage des cathares, série médiévale d’Hervé Gagnon publiée chez Hugo & Cie, en promotion le 17 janvier à 2,99 euros au lieu de 9,99, remontait de la 2 000e place à la 5e dans la journée, et se trouvait une semaine plus tard encore à la 50e place des ventes Kindle. Le 22 janvier, Un repas en hiver d’Hubert Mingarelli (Stock), beaucoup plus littéraire, remontait des environs de la 2 000e place à la 1re, stimulé par une promotion à 2,99 euros au lieu des 11,99 habituels.

 

Amazon déterminé.

Amazon, qui a façonné le marché numérique aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne en cassant les prix, se montre tout aussi déterminé en France, devant ses trois principaux concurrents que sont Apple, Fnac-Kobo et Google Livres, moins agressifs en matière de promotions. Mais les éditeurs se gardent bien de céder à cette tentation, forts de leur contrat de mandat et de la loi sur le prix du livre. Gallimard préfère les rabais moins importants, mais sur deux à quatre semaines, qui laissent aux libraires le temps de s’en emparer, contrairement à la frénésie qu’entretient Amazon. 12-21, qui utilise parfois l’offre Eclair sur Kindle, ou les opérations plus ponctuelles d’Apple, ne "descend jamais en dessous du prix poche" dans sa tarification habituelle, insiste François Laurent. "Nous restons même plus souvent au-dessus. Demain j’arrête !, notre best-seller numérique avec 10 000 exemplaires, est ainsi à 10,99 euros, contre 7,60 en poche." D’où un net différentiel en faveur du petit format, largement au-dessus à 554 000 exemplaires. Le prix du poche est un minimum que seuls quelques éditeurs indépendants s’autorisent à transgresser, et sans forcément constater d’effet sur les ventes, tel Leduc.s, pour qui l’année 2013 est restée "stable et relativement décevante", mentionne Aurélie Scart.

 

La politique tarifaire des éditeurs est le signal le plus évident de leur volonté de développement maîtrisé, afin de préserver leurs filiales de diffusion-distribution et leurs marques en poche, ainsi que l’équilibre des rapports de force et des parts de marché des différents circuits de vente. Un transfert massif vers le numérique, tout à fait possible maintenant que les Français sont bien équipés en tablettes et en smartphones, sinon en liseuses, ne profiterait qu’aux quatre leaders. Dans le monde du livre, personne n’y a intérêt.

Le potentiel des ventes à l’étranger

"25 % des ventes d’Izneo librairie sont réalisées hors des pays francophones", insiste Nicolas Lebedel, directeur commercial de la plateforme de distribution de BD, ouverte aussi à la vente directe au public. "L’exportation est un vrai axe de développement pour la BD numérique, qui permet de trouver des lecteurs partout où le livre papier est difficile à envoyer", ajoute Philippe Ostermann, directeur délégué de Dargaud, un des dix éditeurs actionnaires d’Izneo. L’export numérique dispose bien d’un potentiel de création de marché, alors que les ventes en France, Belgique, Suisse, ou Canada peuvent n’être que des transferts du papier. Mais tout reste à faire. Pour le moment, la plupart des éditeurs limitent les droits de diffusion à l’Union européenne. Gallimard réalise 10 % de ses ventes numériques hors de France, pour l’essentiel dans les trois pays ci-dessus. Amazon exigeant la liberté tarifaire pour le marché américain, presque aucun éditeur ne lui a accordé de droits. L’Afrique, principal bassin de population francophone, n’a pas le même niveau de vie : il faudrait une tarification adaptée, ce qui soulèverait des questions chez les clients occidentaux. L’Harmattan, très implanté localement, maintient ses prix et s’y diffuse surtout via les bibliothèques.


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