Edward Snowden et la censure par le secret

Edward Snowden et la censure par le secret

Tous les secrets ne peuvent pas être divulgués dans les livres. Passage en revue des limites à ne pas franchir...

L’autobiographie d’Edward Snowden, le célèbre lanceur d’alerte, est parue mondialement en septembre dernier. Le Département de la Justice américain a annoncé le jour de la sortie pour attaquer le livre Permanent Records, commercialisé en France sous le titre Mémoires vives (Seuil).

Rappelons que l’ancien agent américain est exilé en Russie, en théorie jusqu’en 2020 afin d’échapper aux poursuites pour espionnage, vol et utilisation interdite de données gouvernementales. Il a en effet rendu publics les moyens de surveillance la CIA et la NSA, qui vont de l’écoute à la collecte, en passant par le traitement de données.
Snowden a d’ailleurs demandé récemment, et pour la deuxième fois, le droit d’asile à la France. 

Avec la sortie du livre, les autorités américaines estiment que son signataire a rompu les accords de non-divulgation conclus avec la CIA et la NSA. Le texte aurait dû leur être soumis avant toute mise sur le marché. Selon le gouvernement américain, Snowden aurait violé également le secret, en tenant des discours sur le renseignement. 

Le Département de la Justice  a déclaré que « les États-Unis poursuivent son éditeur uniquement pour s’assurer qu’aucun fonds ne sera transféré à Snowden ».  Le procureur G. Zachary Terwilliger, a souligné : « Les renseignements fournis devraient protéger notre pays et non générer un profit personnel. Cette action en justice garantira qu’Edward Snowden ne retirera aucun bénéfice commercial de la confiance qui a été placée en lui. »

La censure par le secret est, en France, très répandue.

Le secret est la garantie principale de certains exercices professionnels. L’édition l’a souvent appris ses dépens, lorsqu’elle a voulu muer le médecin, le prêtre, l’avocat, l’espion ou le diplomate en écrivain ou qu’elle brûle d’empiler les dossiers d’instruction en librairie. 

La violation du secret professionnel est sanctionnée par les articles 226-13 et suivants du Code pénal. Le texte vise ainsi implicitement les avocats comme les médecins. La publication des souvenirs présidentiels du célèbre docteur Gubler a abouti, depuis 1996, à de nombreuses condamnations. La saga judiciaire du si justement nommé Grand Secret a en effet passionné toutes les instances, judiciaires comme ordinales. 

Elle s’est en particulier continuée devant la Cour de cassation le 14 décembre 1999 avant de se terminer devant la Cour européenne des droits de l’Homme le 18 mai 2004. Celle-ci a estimé que « la publication du Grand Secret s’inscrivait dans un débat d’intérêt général alors largement ouvert en France relatif au droit des citoyens d’être informés des affections graves dont souffre le chef de l’État, et à l’aptitude d’une personne se savant gravement malade à exercer de telles fonctions. En outre, le secret imposé par le président sur sa maladie et son évolution, que soutient la thèse de l’ouvrage, posait la question d’intérêt public de la transparence de la vie politique. »

De plus, les magistrats européens considèrent « qu’une fois que le secret médical a été enfreint et que son auteur a été condamné pénalement et disciplinairement, il faut nécessairement prendre en compte le passage du temps pour apprécier la compatibilité avec la liberté d’expression d’une mesure aussi grave que l’interdiction générale et absolue d’un livre comme c’est le cas en l’espèce ».  

Brèche médicale

Cette décision a été perçue par les éditeurs comme une brèche soudainement ouverte dans les mécanismes du secret médical. Mais qu’on ne s’y trompe pas : la Cour européenne a fustigé la France en ce qu’elle a interdit en référé le livre, mais n’a nullement estimé injustifiées la plupart des autres mesures. Et elle a seulement levé la mesure d’interdiction entérinée par le juge du fond français, ce qui a permis aux éditions du Rocher de rééditer par la suite le livre originellement paru chez Plon. En effet, précisent les juges de La Haye, lorsque le juge statua sur le fond, 40000 exemplaires de l’ouvrage avaient déjà été vendus, celui-ci était diffusé sur Internet et avait fait l’objet de nombreux commentaires dans les médias.

Dès lors, la sauvegarde du secret médical ne pouvait plus constituer un impératif prépondérant. En outre, cette mesure paraît d’autant plus disproportionnée qu’elle s’ajoute à la condamnation de la société Plon au paiement d’indemnités aux ayants cause de François Mitterrand. Dès lors, la Cour considère que lorsque le tribunal de grande instance statua, aucun besoin social impérieux ne justifiait plus le maintien de l’interdiction de la diffusion du Grand Secret.

Eglise, Diplomatie, Armée, Espionnage

Le silence des évêques face aux cas de pédophilie a remis en lumière le secret qui lie les ministres du culte. Mais, comme le souligne le Professeur Hugues Moutouh, le droit canon exige toutefois que le pécheur cherche l’absolution et non un simple conseil, voire un encouragement. Outre l’excommunication, celui qui viole le secret sacramentiel encourt les mêmes sanctions judiciaires que tout autre professionnel (avocat, médecin, ...).

Diplomates et militaires sont liés par un devoir de réserve. C’est ainsi que les mémoires de Saint-Simon n’ont été publiés originellement que sous une forme très abrégée. Louis XV les ayant fait déposer, sous le secret, aux archives du ministère des Affaires étrangères, la première édition complète remonte donc seulement à 1832.  La prudence du diplomate Paul Morand l’a incité à prendre des dispositions testamentaires complexes pour différer la publication de ses écrits intimes. Une telle règle peut encore s’appliquer à Saint John Perse, Paul Claudel ou Victor Segalen.

De même, les romans d’espionnage publiés par des ex-as de la guerre froide ont toujours suscité de grandes précautions juridiques. La jurisprudence administrative a consacré l’obligation de réserve à laquelle sont tenus les fonctionnaires, qui s’étend des candidats à la fonction publique jusqu’aux agents publics eux-mêmes. Une telle obligation se concilie parfois difficilement avec le statut général des fonctionnaires, qui garantit expressément leur liberté d’opinion. 

Empêchements

L'article 11 du Code de procédure pénale organise le si désuet secret de l’instruction. Celui-ci empêche encore la publication des dossiers sur les plus brûlantes des affaires, du dopage aux sectes, en passant, bien entendu, par le financement d’une certaine vie politique. Il existe d’ailleurs un secret des affaires, renforcé par une loi du 30 juillet 2018, qui s’applique aux milieux économiques. Il peut justifier des interdictions de publication, tout comme l'article 10 de l’ordonnance du 28 septembre 1967, qui sanctionne l’utilisation abusive d’informations privilégiées. 

Le secret des correspondances, prévu notamment à l’article 226-15 du Nouveau Code pénal, vise le « fait, commis de mauvaise foi, d’ouvrir, de supprimer, de retarder ou de détourner des correspondances », y compris par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public. Il concerne donc peu l’édition d’écrits épistolaires.  

En revanche, le fameux secret défense - visé aux articles 413-9 du Nouveau Code pénal et 476-6 et suivants du Code de justice militaire – est encore parfois invoqué pour menacer, là encore, ceux qui s’intéresseraient de trop près aux enquêtes sur l’armée française.

L’emprise des secrets est donc vaste en France. Souhaitons à Edward Snowden de pouvoir malgré tout rejoindre Paris et y vivre de ses droits d’auteur.       
 
 

 

Les dernières
actualités