Avant-critique Récits

Eileen Myles, "Chelsea girls" (Éditions du sous-sol) : Autoportrait d'une fille coriace

Myles Eileen - Photo © Shae Detar

Eileen Myles, "Chelsea girls" (Éditions du sous-sol) : Autoportrait d'une fille coriace

Vingt-neuf textes, fragments de vie intime, historiettes, souvenirs, témoignages et analyses, composent ce recueil de la poète américaine Eileen Myles.

J’achète l’article 1.5 €

Par Marie Fouquet
Créé le 08.09.2022 à 14h00

« Je ne suis pas juste une personne. Je suis une personne de ma culture. » Lorsqu'elle écrit ces mots, restitués par la journaliste Laurie Stone dans The -Village Voice dans les années 1990, Eileen Myles décrit déjà les liens ténus entre le récit de soi et l'analyse sociale, politique voire philosophique. L'élaboration de ses réflexions théoriques prend pour point de départ l'intime et l'expérience vécue, qui relèvent dès lors de l'archive. Le simple témoignage ou le simple récit dépassent ainsi leur auteur pour finalement révéler toute une génération, marquée par des codes et des figures archétypales d'une époque.

Eileen Myles, issue de la classe populaire d'une banlieue pauvre de Boston, atterrit à New York dans les années 1980 où elle devient écrivaine et publie son premier livre. Entre les deux, elle décrit déjà ses soirées et ses rencontres, ses aventures sexuelles avec des femmes et certaines avec des hommes, son rapport complètement addictif aux substances, au sexe et à l'alcool. Entremêlant les époques, entre les années 1960 (où elle était adolescente) et 1990, Eileen Myles raconte dans Chelsea Girls, en une vingtaine de récits brefs, l'évolution d'une génération aux États-Unis. Sa plume est tranchante. Cash, Myles ne louvoie pas. « Glamour mais fauchée. Une buveuse de bières au fond. » L'autrice ne présente aucune hésitation sur son registre − « Pour moi, une allure négligée, ça a toujours été un truc en plus, un truc sexy. » Si bien que son style et les récits de son quotidien destroy hypnotisent, nous rendant tout aussi accros à leur lecture que les personnages qu'elle décrit dans Chelsea girls le sont à l'alcool ou aux drogues.

Le livre se dévore avec un plaisir sans pareil, autant parce que le style de Myles n'a rien de convenu que parce que l'apparente superficialité d'un quotidien animé par la fête, les transes et les arts est balayée par la profondeur introspective de l'écriture. Eileen Myles révèle plus que jamais, par le biais de l'intime et du récit de soi, un mode d'être queer. La « connaissance située », et la démarche de préciser l'endroit d'où l'on parle, est une pratique d'écriture conceptualisée par Donna Haraway dans les années 1980, qui émergeait déjà sous la plume d'Eileen Myles. Aujourd'hui, il semble qu'aux États-Unis et en France, de plus en plus de récits en relèvent, faisant d'Eileen Myles une incontournable inspiratrice.

Eileen Myles
Chelsea girls Traduit de l’anglais (États-Unis) par Héloïse Esquié
Éditions du Sous-sol
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 23 € ; 288 p.
ISBN: 9782364686144

Les dernières
actualités