Avant-portrait

Elliott Murphy- Photo CATHERINE HÉLIE

Elliott Murphy appartient à ce club très fermé des rockers-écrivains qui, grâce à leurs oeuvres littéraires et non à des livres de souvenirs plus ou moins « négrifiés », se sont acquis un public et un respect supplémentaires, surtout en France. Pour la plupart américains, ils s'appellent Jim Morrison, Bob Dylan, Leonard Cohen, Patti Smith, Lou Reed, Nick Cave ou John Wesley Harding - un Anglais -, copain d'Elliott et romancier sous son vrai nom de Wesley Stace. Il y a aussi Iggy Pop. Leurs voix se ressemblent un peu. Mais la similitude s'arrête là : Elliott Murphy est tout sauf un fou furieux.

Quand il raconte l'histoire de Marty May, guitar hero new-yorkais dans les années 1970, ce qui l'intéresse, ce n'est pas tant d'écrire « un énième roman sur sex, drugs and rock'n'roll », que de « raconter la réalité, la vie quotidienne d'un musicien qui a eu un peu de succès, et puis a laissé passer sa chance. Or, aux Etats-Unis, la chance ne repasse pas : il n'existe pas de seconde vie pour les Américains ». Sauf si, comme Elliott Murphy, ils s'expatrient.

« Marty May, c'est un peu moi, reconnaît Murphy. Nos univers sont proches, et beaucoup d'anecdotes dans le roman sont vraies. Le reste, je l'ai inventé. » Né à Long Island en 1949, Elliott Murphy a fait lui aussi ses débuts dans la musique à New York, dans les Swinging seventies. Dès son premier album, Aquashow, sorti en 1973, d'aucuns le saluent comme « le nouveau Dylan ». Il a du succès, enchaîne les disques, où se mêlent toutes ses racines, blues, rock, country, folk, joués avec virtuosité et interprétés avec sincérité. Il fréquente la Factory, rencontre Warhol, Lou Reed, Patti Smith et quelques autres.

Mais l'écriture le démange. Il signe quelques papiers dans Rolling Stone, Spin. Et puis, en 1979, alors qu'il traverse une « mauvaise passe personnelle », il écrit une nouvelle intitulée Marty May, inspirée de The Pat Hobby stories de Francis Scott Fitzgerald, l'un de ses écrivains de prédilection. Le texte paraît dans Rolling Stone. L'auteur en devenir décide de le développer en un roman, lequel ne trouve pas d'éditeur aux Etats-Unis. « Les fans de rock ne lisent pas ! » lui répond-on un peu partout. Il faudra attendre 1989, et son installation à Paris, pour que le livre soit enfin publié, chez un petit éditeur, L'Entreligne, et dans une version réduite. Plus de vingt ans après, ce Marty May, auquel notre ami n'a jamais renoncé, paraît enfin intégralement, adapté en français par le journaliste Christophe Mercier, lequel a aussi joué les go-between entre les éditions Joëlle Losfeld et son copain Elliott, ravi de cette consécration littéraire.

Guitare au poing. En France, Elliott Murphy, artiste culte pour quelques milliers de happy few - il existe bien une biographie de lui, mais en basque -, n'est pas totalement inconnu en tant qu'écrivain. Quelques curieux se souviennent sans doute de Café Notes, un recueil de nouvelles chez Hachette Littératures en 2002, et de Poetic justice, « un roman historique qui se déroulait aux Etats-Unis à la fin du XIXe siècle », paru en 2005 chez le même éditeur, grâce à Michel Bulteau, rocker vintage et fan de la Beat generation. « Je le connais depuis le Moyen Age, dit Murphy. On s'est rencontrés à la Factory en 1975 ».

La France, le jeune Elliott l'avait découverte dès 1971, lors d'un tour en Europe guitare au poing, où il faisait la manche un peu partout, dans les rues, le métro. Il joue même les figurants dans Fellini Roma. « Grâce à ce voyage initiatique,quelque chose a changé dans ma vie », dit-il. Aussi, en 1989, fait-il le grand saut. Alors qu'il ne parle pas un mot de français, il décide de venir vivre à Paris. Il se marie à une Française, Françoise, comédienne. Ils ont un fils, Gaspard, qui vit, lui, aux Etats-Unis. « A Paris, qui est plus à ma taille que New York, je me sens chez moi », explique Elliott, heureux de parler français et reconnaissant d'avoir reçu, en octobre 2012, la médaille de sa ville d'adoption.

Sur la centaine de concerts qu'il donne par an, seuls quatre ou cinq aux Etats-Unis, le reste en Europe. Et entre deux shows, deux disques, il écrit, partout. « Literature is my religion, but rock'n'roll is my addiction », dit-il (en VO). Parmi ses projets, Diamonds by the Yard, une évocation de New York dans les années punk, en collaboration avec son frère Mathew, tour-manager. Et Tramps, l'histoire d'un club de blues de Manhattan dans les années 1980, « presque une suite de Marty May ». En attendant, en même temps que son roman, il sort un nouvel album, It Takes a Worried Man, son trentième. « J'ai fait moins de disques que Bob Dylan, reconnaît Elliott Murphy, mais j'ai commencé plus tard. Et j'ai publié plus de livres que lui ! »

Marty May d'Elliott Murphy, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Christophe Mercier, Joëlle Losfeld. ISBN 978-2-07-248345-5, sortie le 14 mars.

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