Correspondance/France 6 juin Natalie Clifford Barney et Liane de Pougy

La figure centrale de cette histoire, l'amazone conquérante, c'est l'Américaine Natalie Clifford Barney (1876-1972), fille d'un magnat du whisky et des chemins de fer, si riche qu'aucune guerre, aucune crise n'entamera jamais sa fortune, laquelle lui a procuré les moyens de sa liberté. Elle s'installe à Paris dès 1898, où elle finit sa vie, presque centenaire, dans sa maison au 20, rue Jacob, à Saint-Germain-des-Prés. Elle y tenait salon, se régalait de potins, et avait, dit-on, la dent dure. Est-ce qu'elle évoquait parfois le grand amour de sa vie, Liane de Pougy (1869-1950) ? Il faudrait le demander aux témoins de cette époque. Ici, mieux que dans la très corsetée Amérique, Natalie pouvait laisser libre cours à son goût pour les femmes et à sa misandrie, les deux assumés depuis sa jeunesse.

Dès son arrivée, Natalie tombe sous le charme d'une femme : Liane de Pougy (pour l'état civil, Anne-Marie Chassaigne), l'une des célèbres courtisanes du moment, une « grande horizontale » qui vivait somptueusement de ses charmes. En 1910, elle épousera le prince Ghika, mariage malheureux. A priori, Liane n'était donc pas lesbienne. Mais Natalie passe outre, la bombarde de messages, puis de bouquets de fleurs, et parvient à ses fins. Les deux amies vivront une Idylle sapphique (c'est le titre du roman à scandale et à succès que Liane en tirera, paru en 1901) aussi intense et tumultueuse, que brève : trois ans tout compris, Natalie l'infidèle s'étant amourachée de la poète Renée Vivien. Mais que de drames, de ruptures, de réconciliations ! L'amour s'est changé en amitié, jusqu'en 1926. Elles se croiseront une ultime fois, par hasard, à Toulon, en 1934, mais Liane évitera Natalie. Pourquoi remuer les cendres ?

De cette histoire, follement romanesque et tellement Belle Epoque, leurs lettres portent témoignage : 172 retrouvées au terme de dix-huit ans de recherches rocambolesques, par des éditeurs méritants, signées surtout par Natalie, pleines de déclarations d'amour, de vacheries, mais aussi d'idées et de littérature. Ainsi, Natalie, si en avance sur son époque, écrit-elle, en 1900, à propos deFrédériquede Marcel Prévost : « J'aime ces livres-là qui prêchent l'émancipation de la femme.» Natalie resta fidèle à elle-même. Liane, elle, convertie et bigote, devint Sœur Anne Marie Madeleine de la Pénitence.

Natalie Clifford Barney, Liane de Pougy
Correspondance amoureuse - Edition établie et annotée par Suzette Robichon et Olivier Wagner. Introduction et postface d’Olivier Wagner
Gallimard
Tirage: 2 500 ex.
Prix: 24 euros ; 368 p.
ISBN: 9782072819049

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