Roman/France 17 janvier Pascal Quignard

« Dans les mêmes fleuves nous entrons/et nous n'entrons pas/nous sommes/et nous ne sommes pas. » Le fragment XLIX d'Héraclite rythme, tel un secret leitmotiv, le dernier livre de Pascal Quignard, La vie n'est pas une biographie, les paroles du présocratique forment le fil rouge qui relie les pages de cette « biographie impossible ». Sénèque traduit la phrase par In idem flumen bis descendimus et non descendimus, « nous sommes descendus deux fois dans le même fleuve mais nous n'y sommes pas descendus ». L'auteur du Sexe et l'effroi souligne le « deux fois » (bis) et s'émeut de la tournure du stoïcien, qui a unifié le fleuve, comme s'il s'agissait d'un même temps, temps des morts et temps des vivants, « "le même fleuve" de la durée vivante ». C'est beau cette façon de lier notre condition de mortel à notre chute dans le temps.

Pourquoi la biographie est-elle impossible ? Le mot en soi tient de l'oxymore : n'est-il point contradictoire de vouloir écrire (graphein) une vie (bios), fixer ce qui n'est que flux ? On n'écrit qu'avec les cendres de ce qui fut, comment restituer ce souffle qui anime le vivant et fait danser la flamme du désir ? Comment parler de notre solitude une fois expulsé des entrailles maternelles et exilé dans le vaste monde ? « C'est ainsi que la vie (que nous menons si mal) n'est jamais la biographie d'un mort (où on ne vit plus du tout). » Au vivre, et à son existence en particulier, l'on voudrait assigner un sens, mais « vivre est sans but ; vivre est sans telos ; vivre est sans objectif ; vivre est sans "labor"./Regardez les arbres, les chênes, les hêtres, les buissons, les orties de la rive, les noisetiers, les aulnes, l'écureuil/qui se partagent spontanément l'espace auprès de l'eau. »

Cette tentative de récit de vie est gyrovague. L'auteur déploie un art consommé de l'errance et du fragment, visitant les auteurs Maurice Scève, T. S. Eliot, comme les cultures, mythologie grecque ou civilisation japonaise. Tout est elliptique, énigmatique, mystérieux comme la nuit de la conception, les ténèbres de la scène primitive. Les thèmes se déclinent et varient, qui sont chers à Quignard : le sexe fascinant, l'étoffe du rêve dont sont faites nos existences. La figure de la mère est celle de l'abandon, la trahison ; l'ombre du père est la trace de la déréliction. Dans le sommeil on se raccroche aux racines d'un ciel lointain, l'enfant éternel replonge dans la nuit des morts. Il n'y a pas de réponse, tout se dérobe : « Il me semble que je cherche à tirer jusqu'à moi une robe qui a échappé aux doigts de mon enfance. »

Pascal Quignard
La vie n’est pas une biographie
Galilée
Tirage: 5 000 EX.
Prix: 22 EUROS ; 192 P.
ISBN: 9782718609805

Les dernières
actualités