16 août > Roman France > Carole Fives

On aime l’empathie justicière avec laquelle Carole Fives prête l’oreille aux héros ordinaires dont elle amplifie les voix depuis son premier roman Que nos vies aient l’air d’un film parfait paru en 2010. Après Une femme au téléphone (Gallimard, "L’arbalète", 2017), la maternité envahissante et les attachements familiaux paradoxaux sont une nouvelle fois au cœur du quatrième roman de cette écrivaine sagace qui écrit aussi pour la jeunesse.

La narratrice, une graphiste free-lance installée à Lyon, raconte sa vie de mère célibataire, en vase clos avec son fils de 2 ans. Le père qui a disparu des radars ne partage plus le loyer de l’appartement devenu trop cher et le travail s’est fait rare. Les factures impayées s’accumulent. Surtout, elle n’a personne qui puisse la relayer pour s’occuper de "l’enfant". Alors le soir, elle commence à sortir se promener seule dans la ville en laissant le petit garçon endormi. D’abord "Marcher, juste, marcher. A peine le tour du pâté de maisons", puis ces fugues nocturnes minutées deviennent de plus en plus longues et aventureuses.

Carole Fives sait décrire avec une terrible justesse, en tissant le double fil de l’intime et de la sociologie, le rythme aliénant du quotidien en solo de cette femme ligotée dans un amour maternel claustrophobe, la dimension la plus physique de la dépendance à l’enfant mais aussi les détails concrets de la précarité matérielle, de l’isolement affectif et social, le glissement progressif vers le déclassement. Mais c’est aussi un roman sur la liberté, perdue et à reconquérir, sur les issues de secours à forcer pour "sortir de cette dissolution des jours et des nuits", pour retrouver de la légèreté et suspendre le poids d’une responsabilité impossible à partager. Affronter aussi les injonctions des internautes quand, à la recherche de soutien, elle rentre les mots clés "MERE SEULE + GALERE" sur les forums, l’opprobre unanime qui la désigne comme mal organisée, incompétente, indigne. Ce qui est très fin dans ce portrait d’une lucidité parfois absurdement drôle, c’est qu’il ne s’agit pas d’une mère démissionnaire mais d’une femme dépassée par son rôle, au bord de la rupture, profondément émouvante dans son combat chaque jour répété pour Tenir jusqu’à l’aube. Et on la suit avec un mélange d’effroi et d’admiration dans ses insoumissions risquées, quand, comme la chèvre de M. Seguin dont elle lit l’histoire à son fils, elle "tire sur la corde", dangereusement. Véronique Rossignol

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