8 SEPTEMBRE - HISTOIRE France

Il a le sens de la formule, Jean Lacouture. Après avoir été élu à l'Académie française, Prosper Mérimée se lance dans la rédaction de la très peu académique Carmen. "Il lui fallait entrer dans les désordres", constate Lacouture. C'est bien vu, c'est juste. Des observations comme cela, il y en a plein dans cette biographie alerte d'un personnage imaginaire, une première, à 90 ans, pour l'auteur de travaux de référence sur de Gaulle, Malraux, Mauriac, Mendès-France ou Mitterrand.

Avec son appétence de mélomane - il est président de l'Association des amis de Georges Bizet -, ce passionné d'art lyrique a cherché à comprendre comment une nouvelle passée inaperçue dans La Revue des Deux Mondes en 1845 est devenue trente ans plus tard, par son adaptation pour l'opéra, une oeuvre saluée planétairement.

Entre ces deux Carmen, il y eut tout de même quelques petites transformations. "La Carmen du romancier est une Carmen vaincue, emprisonnée dans le carcan social et l'ordre chrétien. La Carmen que fait chanter Bizet s'enorgueillit de ses origines, confondant l'amour et la bohème."

Le personnage lunaire est devenu solaire. Provocante, meneuse de foule, meneuse de garçons, meneuse de vie. Le malheur s'est transformé en bonheur inaccompli. Bizet en a fait un drame joyeux, une catastrophe qui prend des airs d'opéra-comique. "C'est une révolution qui danse." Le compositeur meurt à 36 ans, trois mois après la première de son Carmen, éreinté par une critique conservatrice, avant d'être salué plus tard par Nietzsche, Brahms, Tchaïkovski et Wagner pour finalement devenir l'opéra le plus joué au monde.

Pour rechercher les origines de Carmen, l'historien a fouillé les vies de Mérimée et de Bizet. Et on peut dire qu'elles étaient opposées. Le premier était conservateur. Il connaissait l'Espagne mais se méfiait de ce pays qui s'émancipait d'une monarchie féroce. Le second n'y avait jamais mis les pieds. Ce compositeur qui détestait le Second Empire inventa son Espagne de Bougival et donna à cette modeste cigarière une gloire et un éclat inattendus. Il trouva sa Carmen chez María Martínez, une chanteuse et danseuse espagnole qui se produisait dans les cabarets parisiens. La Gitane un peu sorcière était née. "Mérimée avait dessiné un personnage saisissant, Bizet en a fait un mythe."

Grâce au génie de Bizet et de ses librettistes Meilhac et Halévy, la femme fatale rivée à la fatalité devient femme libre, chaleureuse, révoltée. Elle finit toujours poignardée, mais pas de la même façon. Et elle incarne toujours cette jeunesse insolente, cet amour rebelle, ce piment fort qui rime avec toréador. Une corrida à elle toute seule. C'est en tout cas ce qui ressort de ce livre qui brûle d'une passion dévorante pour l'Espagne, l'opéra et cette femme dévoilée qui garde pourtant tout son mystère.

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