Avant-critique Roman

Flaubert, c'est lui. Lorsque s'ouvre le brillant opus d'Éric Laurrent, Gustave Flaubert a presque 30 ans. S'il écrit depuis toujours, il n'a encore guère publié, et rien de marquant. Afin de soigner ses nerfs fragiles (il était sujet à des crises d'épilepsie), il était parti en 1849 pour un long voyage (Égypte, Turquie, Grèce, Italie), en compagnie de Maxime Du Camp, son plus vieil et meilleur ami avec le poète Louis Bouilhet. Mais, durant le périple, des dissensions survinrent entre eux, lesquelles s'aggraveront après que Du Camp, un des fondateurs et directeurs de la Revue de Paris, aura osé émettre des critiques sur le roman auquel Flaubert s'était mis à travailler durant cinq ans, comme un forçat : Madame Bovary.

« Un livre sur rien », disait l'auteur, qui prétendait aussi avoir voulu dépeindre des moisissures au bas d'un mur. Le texte parut néanmoins en feuilleton en 1856 dans la Revue de Paris, et causa le scandale que l'on connaît. Accusé, mis en procès par le procureur Pinard (celui qui s'en prendra juste après à Baudelaire pour ses Fleurs du mal), Flaubert fut relaxé le 7 février 1857, grâce à son avocat, maître Senard, lequel était allé trouver Napoléon III aux Tuileries afin de solliciter sa clémence. Avec succès. C'est à cette date que se clôt le livre d'Éric Laurrent, sur une bamboche mémorable à laquelle participent tous les protagonistes de cette histoire, dont Michel Lévy, l'éditeur de Flaubert, qui se frottait les mains : rien de tel qu'un bon scandale pour faire grimper les ventes. L'écrivain, lui, échaudé, songeait à un roman en costume, Salammbô, afin de ne plus avoir d'ennuis avec les censeurs. Il travaillera toujours dans la douleur, mais jamais comme ces cinq années à suer sang et eau, à Croisset, la nuit surtout, sur ses pages zébrées de corrections. Pas plus de cinq ou six par jour. Mais du Flaubert !

À un moment, passe la silhouette d'un certain Laurrent, présenté comme le sténographe du procès. Un clin d'œil mérité : Éric Laurrent nous fait vivre ces cinq années de la vie de Flaubert de l'intérieur, dans l'intimité, avec minutie, presque dans le style de l'époque, et avec un incroyable brio. On regrette presque, lecture finie de ce volumineux roman, qu'il s'achève déjà. Ce n'est pas si fréquent.

Éric Laurrent
À l'œuvre
Flammarion
Tirage: 4 500 ex.
Prix: 22 € ; 406 p.
ISBN: 9782080449153

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