Etonnants voyageurs

Etonnants voyageurs : les cinq idées qui ont changé les salons du livre

Un Touareg plongé dans LePetit Prince, sur le Belem lors de l’édition 2005 d’Etonnants voyageurs. - Photo A.-L. Walter/LH

Etonnants voyageurs : les cinq idées qui ont changé les salons du livre

Le festival Etonnants voyageurs, qui fête ses 25 ans du 23 au 25 mai à Saint-Malo, a contribué à bouleverser la conception des manifestations dédiées au livre. Synthèse.

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Par Anne-Laure Walter,
Créé le 22.05.2015 à 02h05 ,
Mis à jour le 22.05.2015 à 11h20

Pour aborder son prochain quart de siècle, le festival Etonnants voyageurs, qui se tient du 23 au 25 mai à Saint-Malo, se demande : "Où allons-nous ?". Une question au cœur de la programmation, mais aussi une interrogation sur la manifestation elle-même. En vingt-cinq ans, le petit festival créé par cinq personnes en 1990 est devenu une rencontre internationale qui accueille plus de 250 invités et 300 animations. Si cette boulimie de rencontres et d’invités laisse poindre les limites de l’exercice, le festival créé par Michel Le Bris, un amoureux des livres qui s’est tourné vers la littérature après avoir fait HEC, en a inspiré plusieurs. Sans forcément les inventer, il a formalisé de nouvelles façons de penser la médiation autour du livre. "Etonnants voyageurs se détache des autres salons pour avoir été l’un des premiers à mettre l’accent sur des débats littéraires, s’éloignant en cela des "foires du livre" très commerciales où la vente est au cœur du dispositif, au détriment de la médiation", explique la chercheuse Adeline Clerc, auteure d’une thèse sur Le monde du livre en salon. Voici ses cinq innovations majeures.

1. Autour d’un café

Ecrivain, le fondateur d’Etonnants voyageurs a le souvenir des salons auxquels il a participé, de "ces heures passées derrière des tables, occupé à signer (ou pas) avec de loin en loin une vague rencontre sans intérêt". Michel Le Bris cherche donc en 1990 une autre forme pour la manifestation qu’il a en tête. Deux piliers de la télévision locale, Christian Rolland et Maëtte Chantrel, dont il a croisé la route quand il était directeur des programmes de FR3 Ouest, trouvent la solution : le café littéraire. En visite à Strasbourg pour le Carrefour des littératures européennes, l’animatrice de télé a en effet repéré dans un coin un lieu baptisé "Café littéraire" qui accueille quelques débats. "C’était assez vide et froid, mais le nom m’a plu, se souvient Maëtte Chantrel. Nous voulions montrer que les écrivains étaient abordables en s’installant au bar du Palais du festival, dans un lieu vivant, ouvert, quitte à être gênés par le bruit." Dès la première édition en 1990, le "café littéraire", dont ils déposent le nom à l’Inpi, est le fil rouge du festival. Du matin au soir, tous les invités s’y attablent. Dès l’année suivante, bon nombre de rencontres littéraires reprennent l’appellation et la formule.

2. Tous les arts

Le point de départ de la manifestation est de défendre une idée de la littérature qui "dit le monde" (1), d’en déployer tous les aspects à travers des débats, des lectures, des expositions, des spectacles ou des films, "multipliant les portes d’entrée, de sorte que tous les publics puissent s’y sentir à l’aise", explique Michel Le Bris. Le choix se porte donc sur la forme d’un festival, qui existe déjà mais est encore peu répandu en France et qui, depuis, s’est développée, du Festival Livres & musiques de Deauville au Festival America de Vincennes. Des libraires assurent les ventes de livres en appui. Dès la première édition, se tiennent des expositions de Cartier-Bresson ou d’Hugo Pratt et la projection de quatre films (cinquante, dix ans plus tard, une centaine aujourd’hui). Au fil des années, des chanteurs comme Cesaria Evora ou Cheb Mami complètent la programmation. Des auteurs de carnets de voyage et des photoreporteurs exposent. Des cinéastes convergent vers Saint-Malo.

3. Le voyage en pratique

A partir de 2000, le festival entreprend des délocalisations. Naissent en plus des maisons d’édition malouines, des festivals frères à l’étranger, s’appuyant sur une association locale pilotée par des auteurs. Tout commence aux Etats-Unis, à Missoula, sous l’impulsion de James Crumley. Puis il y aura Dublin, Sarajevo, huit fois Bamako, Haïfa, deux fois Port-au-Prince, Brazzaville ou encore Rabat-Salé, l’an passé. Ces expériences à l’étranger nourrissent la programmation. "C’est une tendance dans les festivals littéraires du monde entier de s’ouvrir à l’international pour renouveler leur proposition et ne pas tourner en rond", observe Laetitia Daget, auteure en 2011 d’un mémoire sur "Les festivals littéraires", comparant Saint-Malo, Paraty (Brésil) et Hay-on-Wye (pays de Galles). Le Marathon des mots de Toulouse développe depuis 2012 une édition à Tunis et une autre à Bruxelles. Les Assises du roman de Lyon ont essaimé à New York en 2011 et 2013. Et depuis 2012, Etonnants voyageurs est entré dans une nouvelle phase de son développement international en adhérant au réseau de festivals la "Word Alliance" (Edimbourg, Berlin, Jaipur, le Bookworm de Pékin, Melbourne, Toronto ou le Pen Club de New York) pour organiser des opérations communes, des échanges d’idées et la circulation d’auteurs de festival en festival.

4. La bibliothèque idéale

Le festival est l’un des premiers, et le seul à cette échelle même si les Assises du roman publient chaque année leurs actes chez Bourgois, à motiver des publications, disposant même depuis douze ans d’une collection chez Hoëbeke. "La production littéraire a en fait précédé le festival, puis l’a accompagné tout au long", précise Michel Le Bris, animé au départ d’une volonté éditoriale et pour lequel "le festival est venu comme un complément indispensable". Le fondateur d’Etonnants voyageurs a dirigé une collection chez Phébus, créé "Petite bibliothèque Payot. Voyageurs" ainsi qu’une collection de "nature writers" à La Table ronde, mais aussi la revue Gulliver. Ces initiatives éditoriales touchent à la fiction, mais rebondissent aussi sur les idées défendues lors du festival avec, dès 1992, Pour une littérature voyageuse (Complexe) ou, plus récemment, "Manifeste pour une littérature-monde en français", texte publié en 2007 en une du Monde des livres, puis édité par Gallimard.

5. Ecrire son histoire.

Pour contrebalancer le caractère éphémère de l’événement littéraire, le festival a dès le départ veillé à garder trace de ce qui s’y disait en mettant en place des moyens d’archivage. Venus de la télévision, les fondateurs ont eu "l’idée dès la première édition de filmer le café littéraire", raconte Maëtte Chantrel. En 2012, les archives sont numérisées et rendues disponibles sur Internet (2). Enfin, le 5 mai dernier, un beau livre anniversaire, Etonnants voyageurs, 25 années d’une aventure littéraire, a paru chez Hoëbeke, réunissant photos souvenirs et textes théoriques qui sous-tendent le festival dès son origine. Si Etonnants voyageurs à ses débuts a formalisé le festival littéraire, il migre aujourd’hui vers une école de pensée, nourrie par un dialogue que les auteurs poursuivent d’édition en édition. Pour Michel Le Bris, le festival est "un formidable laboratoire pour faire émerger une idée nouvelle de la littérature".

(1) Voir l’interview de Michel Le Bris ici.

(2) www.etonnants-voyageurs.com

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