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Europe. Brexit : What did you expect ?

Boris Johnson plaidant en faveur du Brexit à la tribune du parlement britannique. - Photo HOC/JESSICA TAYLOR/Stephen Pike/CC BY-NC 2.0

Europe. Brexit : What did you expect ?

Le Royaume-Uni et l'Union européenne négocient, depuis le 31 janvier, les réglementations qui encadreront leurs relations futures. Quatre inquiétudes majeures traversent le monde du livre. _

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Créé le 12.03.2020 à 13h55

Sa décision est prise, elle rentre à Paris. Après six années à Londres, Juliette Ponce, éditrice en charge de la collection de littérature étrangère de Buchet-Chastel, plie bagage avec sa famille. En cause : l'incertitude autour des conditions de résidence après le Brexit. « Nous ignorons encore comment vont être calculées nos cotisations, comment sera articulé le système de retraite », explique-t-elle.

Comme elle, à l'heure où le Royaume-Uni traverse une période de transition, de nombreux ressortissants européens qui travaillent dans l'édition n'hésitent plus à déménager. Ceux qui restent suivent de leur mieux les négociations entre Londres et Bruxelles, qui doivent déboucher avant le 31 décembre 2020 (voire d'ici à 2022, en cas d'échec) sur un accord autour des quatre grandes libertés qui prévalent dans le marché unique : (circulation des personnes, des biens, des capitaux, des services).

Paris Gare du Nord, le point de départ et d'arrivée des voyageurs de l'Eurostar Paris-Londres.- Photo OLIVIER DION

1 Droit de circulation : les collaborateurs déguerpissent

Durant la période de transition, l'accès au Royaume-Uni reste possible sur simple présentation d'une carte d'identité pour les ressortissants de l'UE. En parallèle, les quelque 3,6 millions de citoyens européens qui vivent actuellement au Royaume-Uni doivent demander, avant le 30 juin 2021, un statut créé sur mesure (« settled status »). Ce droit de résidence permanente leur permet de continuer à travailler ou toucher des prestations sociales après le Brexit. « Mais il n'a pas été accordé à tout le monde, rappelle Laurence Laluyaux, agente française chez Rogers, Coleridge & White. Les étrangers qui travaillent en freelance ont particulièrement peur de l'avenir. Un de nos collaborateurs s'est installé récemment à Barcelone pour cette raison ». Attachée livre et débat d'idées à l'ambassade de France au Royaume-Uni de 2014 à 2019, Lucie Campos ajoute : « Les libraires et les bibliothécaires craignent aussi le départ de leurs employés. » À partir de 2021, le Royaume-Uni pourrait opter pour un système universel de visas par points. Les critères évalueraient, notamment, les conditions de ressources.

2 Achats de droits : la menace du dumping

Au lendemain du référendum en 2016, Dan Franklyn, alors éditeur associé de Jonathan Cape, avait exprimé dans nos pages (LH n° 1120) ses craintes au sujet des achats de droits après le Brexit : « Lorsque nous achetons les droits d'un livre en anglais, nous essayons de les obtenir pour l'ensemble du territoire européen pour éviter que les éditeurs américains ne fassent du dumping en inondant l'Europe d'éditions moins chères. Or nous ne savons pas si cela demeurera possible quand nous serons sortis de l'UE. » Trois ans après ces déclarations, Anne-Solange Noble, chargée des cessions pour la langue anglaise chez Gallimard, rappelle que l'attribution des territoires « relève toujours d'une négociation contractuelle au cas par cas ». En « Européenne convaincue », elle a longtemps accordé l'exclusivité de l'Union Européenne aux Britanniques. C'est ainsi que Faber & Faber a obtenu en décembre de Gallimard les droits exclusifs en Europe de l'édition prévue en 2021 du nouveau roman de Leïla Slimani, Le pays des autres, paru le 5 mars en France. Elle affirme néanmoins qu'elle n'aura plus le même « réflexe européen automatique » et réfléchira selon le profil des éditeurs impliqués : « Quel découpage territorial exclusif/non-exclusif entre Britanniques, Américains, Canadiens, Australiens, Indiens (dans le cas optimal d'offres multiples) sera le plus bénéfique pour l'auteur ? »

3 Directive des droits d'auteur : la colère des écrivains

C'est un point épineux pour les éditeurs britanniques. La directive européenne des droits d'auteur, validée le 15 avril dernier après deux ans d'âpres négociations, pourrait ne pas être appliquée au Royaume-Uni.

Le 27 janvier, le ministre de l'enseignement supérieur, des sciences, de la recherche et de l'innovation, Christopher Skidmore a déclaré : « Le Royaume-Uni ne sera pas tenu de mettre en œuvre la directive, et le gouvernement n'a pas l'intention de le faire. Toute modification future du cadre britannique du droit d'auteur sera examinée dans le cadre d'un processus de politique intérieure. »

La réaction de l'organisation britannique ALCS, qui fait du lobbying en faveur d'une plus juste rémunération pour les auteurs, a été immédiate. La directrice générale déléguée, Barbara Hayes, a publiquement sollicité une réunion avec la secrétaire d'Etat Nicky Morgan. « Nous remarquons une baisse persistante des revenus des auteurs professionnels, soit 42 % depuis 2005, a déclaré Barbara Hayes. Le chapitre III de la directive insiste sur la nécessité de rééquilibrer la balance en accordant une valeur plus juste à la créativité. » Cette organisation ainsi que le syndicat The Society of Authors entendent faire pression sur le gouvernement pour que la directive soit transposée en droit britannique avant le 7 juin 2021, date à laquelle les États membres sont sommés de la mettre en œuvre.

4 Fiscalité : le spectre d'une double taxe

Les auteurs britanniques ou étrangers qui dépendent d'agences littéraires britanniques s'inquiètent notamment d'être « doublement taxés » à l'issue des négociations sur le Brexit. Laurence Laluyaux se montre rassurante sur ce sujet. « Nous disposons de formulaires qui nous permettent d'être déjà exonérés d'une double taxe », explique-t-elle. Émis par l'autorité fiscale britannique, ces formulaires permettent à un auteur de certifier qu'il n'est pas résident français, donc pas imposable en France.

En ce qui concerne la TVA au Royaume-Uni, le livre papier est exonéré de cet impôt tandis que la livre numérique et le livre audio sont soumis à une TVA de 20 %. L'Association des éditeurs britanniques réclame depuis 2016 l'application d'une TVA à taux zéro pour tous les supports. Surtout, inquiète du futur régime douanier, elle demande l'accès au marché européen après le Brexit.

Du coût du papier aux fluctuations des taux de change, l'édition britannique se montre sceptique sur l'avenir. « Mais ce n'est pas le premier obstacle que nous rencontrons. Nous faisons preuve d'agilité depuis des années, insiste Laurence Laluyaux, Les contrats peuvent être signés en devises différentes selon les taux de change ». Surtout, rappelle-t-elle, l'édition britannique s'est majoritairement positionnée contre le Brexit. La pression sur le gouvernement britannique ne sera que plus forte.

Inquiétudes au Festival d'Edimbourg

Le festival littéraire d'Edimbourg- Photo EDINBURGH INTERNATIONAL BOOK FESTIVAL

Evénement culturel majeur en Europe, le Festival international d'Edimbourg, qui a lieu fin août, a déjà fait les frais du Brexit. L'an dernier, les artistes invités ont exigé d'être payés en euros ou en dollars alors que la livre sterling affichait une perte historique de sa valeur. D'après The Guardian, l'organisation dirigée par Fergus Linehan a mis en place une assurance sur un million de livres pour pallier les possibles fluctuations des taux de change et garantir le paiement des artistes. « Chaque dépense supplémentaire nous éloigne toutefois des artistes à grand potentiel », a-t-il affirmé au journal britannique.

Les organisateurs de ce festival, où onze disciplines sont représentées, sont aussi très inquiets du futur système de visas. Directeur du Festival international du livre d'Édimbourg, Nick Barley, avait déjà pointé les difficultés rencontrées ces dernières années pour inviter des écrivains originaires du Moyen-Orient ou de l'Afrique. « Après le Brexit, nous craignons que ce problème s'étende à l'Europe », a-t-il souligné lors de la dernière édition, dont l'Indienne Arundathi Roy faisait partie des têtes d'affiche.

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