Dans un marché atone, peu tiré par les grands blockbusters (outre Astérix, évidemment), la bande dessinée s'ancre plus que jamais dans le monde contemporain. Entre témoignages et documentaires, le segment de la BD du réel, étoffé d'albums de fiction largement inspirés des faits de société, capte une bonne part des nouveautés notables de cette rentrée 2025.
Il sera ainsi question de sexualité, d'identité ou de violences sexuelles dans Les yeux d'Alex et La mise à mort du tétras lyre (Glénat), et dans les autobiographies Une obsession de Nine Antico (Dargaud), Sage de Quentin Zuttion (Le Lombard) et Transformer de Nicoz Balboa (Ici Même). L'identité sexuelle est aussi au cœur des témoignages, comme dans Pénis de table 2 (Steinkis) ou Les combattantes (Delcourt), ou encore dans les allégoriques La tête sur mes épaules (Atrabile), Et c'est ainsi que je suis née (Casterman).
Albums intimistes
La maladie, autre grand thème classique de la BD du réel, sera au centre de Punk à sein, dans lequel Magali Le Huche raconte son cancer (Dargaud), Fleurs intestinales de Vamille décrit la maladie de Crohn (Sarbacane), Là où tu vas d'Étienne Davodeau, sur Alzheimer, nous emmène au pays de la mémoire qui flanche. (Futuropolis). Le grand âge, avec Tous derrière et eux devant (FLBLB), le deuil dans Le problème avec les fantômes (Glénat) et le suicide assisté dans Virgile (Le Lombard) s'ajoutent aussi au tableau.
Des livres auxquels on pourra adjoindre toute une frange d'albums intimistes, tels Cat Café (Dargaud), La timidité des arbres (Virages graphiques), Aristote ou presque (Presque lune), Mon année au Canada (Çà et là), À travers la nuit (L'Employé du moi), Les aventures fictives (Super Loto) ou encore Le dernier été de mon innocence (Robinson).
Par ailleurs, les tragédies internationales trouvent dans la BD le support idéal pour être documentées, à l'image de titres sur l'Iran : Hazara Blues (Sarbacane), Shadi (Çà et là), Les lignes qui tracent mon corps (Casterman). Un peu d'écologie toujours, avec Une bouteille à la mer et Danser avec le vent chez Futuropolis, Le paradoxe de l'abondance (Dargaud), Histoire de la mer (Les Arènes)...
D'autres sujets de société actuels sont explorés : la dérive masculiniste dans Rouge signal (2042), l'éducation dans Ulis (Delcourt), les féminicides dans Nous sommes la voix de celles qui n'en ont plus (Actes Sud), la misère culturelle et sociale de la campagne dans Mémoires d'un traître (Gallimard), les stupéfiants dans Drogue (Delcourt), l'hébergement d'urgence dans Portraits nomades (Ouï/Dire), ou encore le passé familial dans Les fantômes de la rue Freta (Bayard Graphic) et Plus jamais je ne visiterai Auschwitz (Delcourt).
Incontournables adaptations et biographies
La liste pourrait encore être longue, surtout si on y ajoute les essais, qui rejoignent le florissant rayon des adaptations littéraires en BD. Ainsi le best-seller de Johann Chapoutot Libres d'obéir chez Casterman, French Theory chez Delcourt, le dernier tome de Sapiens chez Albin Michel, Nos pères, nos fils, nos amis. Dans la tête des hommes violents chez Steinkis ont eu droit à leur version dessinée. Ce dernier éditeur s'associe à La Découverte pour transposer des titres de la collection « Zones » : On ne naît pas mec de Daisy Letourneur ouvre le bal, et sera suivi en 2026 de Sex Friends et de Propaganda.
Côté adaptations, la jeunesse n'est pas en reste avec Rita Perdido, prequel à Agence Perdido de Victor Dixen (Bayard jeunesse), Peggy Sue et les fantômes (Jungle), Porculus (Rue de Sèvres) ou L'homme qui plantait des arbres de Jean Giono (Gallimard Jeunesse).
Lovecraft adapté
À noter aussi deux adaptations de Lovecraft, La tombe (Les Humanoïdes associés) et L'indicible (Ki-oon), un nouveau Bernard Werber, Le papillon des étoiles (Albin Michel), un H.G. Wells méconnu, L'homme qui pouvait accomplir des miracles (Dargaud), Kernok le pirate d'Eugène Sue (Oxymore)... On adapte aussi des podcasts ou chroniques radio, à l'image des Aventures pas-sages de la Baba Yaga (Seuil jeunesse) ou des Chroniques de Saint-Roustan (Delcourt).
Toujours dans le giron du réel, les biographies semblent rester une valeur sûre, même si elles paraissent ralentir en volume après plusieurs années tous azimuts. Si Jungle tente un coup avec la biographie de Zidane par Faro, ce sont les figures artistiques qui dominent : Colette (Delcourt), Frida Kahlo (Futuropolis), l'épisode 2 des Guerres de Lucas sur le tournage de L'Empire contre-attaque (Deman), Starman sur la période Ziggy Stardust de Bowie (Casterman), Le Contrat Corneille-Molière (Les Impressions nouvelles) ou Gerda Taro, photoreporter dans les années 1930, (La Boîte à bulles).
L'histoire et la géopolitique ne sont pas en reste avec, entre autres, le quatrième tome de Madeleine, résistante (Dupuis), le premier des Enfants de la Résistance racontent (Le Lombard), Les sœurs Jacob, du nom de jeune fille de Simone Veil, (Les Arènes), Orients perdus. L'aventure de Théodore Lascaris (Daniel Maghen), La dent. La décolonisation selon Lumumba et Kennedy(s) chez Glénat, Vauban (Anspach), jusqu'à la bio de Volodymyr Zelensky chez Delcourt.
L'histoire de retour
Ces albums viennent renforcer un champ de la bande dessinée historique qui semble retrouver un peu de vigueur après des années de ronronnement. Bamboo et son label Grand Angle développent ainsi la collection « Les Justes », tandis que Delcourt creuse la ligne des Maîtres de guerre (Attila, Lawrence d'Arabie...) mais aussi le prometteur Les sentiers d'Anahuac autour de l'anéantissement du peuple aztèque.
Et c'est dans le genre de l'aventure sur fond historique - qui était un peu passée de mode - que l'activité repart, notamment à travers la série L'ange corse chez Futuropolis, L'ogre chez Glénat, Rockabilly chez Daniel Maghen ou Le mètre des Caraïbes chez Dargaud. Dupuis, quant à lui, propose différents sauts dans le temps avec Soli Deo Gloria, un conte musical à l'époque de Vivaldi, Knight Club, qui propose action et humour au temps des croisades, ou La danseuse aux dents noires sur les complots au Cambodge en 1912. De son côté, Urban Comics publiera La Guerre, un récit terriblement réaliste sur la menace d'un conflit nucléaire.
Fantasy en berne, western revigoré
On pourrait craindre que la prégnance du réel rogne sur le rayon fiction. Ce serait parler trop vite. Même si l'équilibre est assez mouvant de ce côté-là. Alors qu'un vent nouveau soufflait sur la science-fiction ces dernières années, le genre attire un peu moins en cette rentrée. Il sera dominé par Silent Jenny, par Mathieu Bablet, l'auteur de Shangri-La et de Carbone & Silicium, en qui Rue de Sèvres et le Label 619 placent beaucoup de confiance puisqu'il sera tiré à 150 000 exemplaires, un record pour la maison de L'école des loisirs.
On pourra aussi lire Dewi et ses sœurs (Albin Michel), Mimésia (Futuropolis), un nouveau Bug d'Enki Bilal et le tordu C'est où, le plus loin d'ici ? (Casterman), ainsi que le tome 9 d'Orbital, qui fête ses 20 ans chez Dupuis. À noter également le vertigineux Spectateurs de Brian K. Vaughan et Niko Henrichon (Urban Comics), Hour Glass et Buglands (Humanoïdes associés), Moscow 2160 (Kurokawa), 1949 et Rat City (Delcourt), ou l'alternatif Mendax (L'Employé du moi).
La fantasy, outre ses séries en cours, se fait discrète, surtout animée par Delcourt-Soleil, avec Automne, Le carnaval des cadavres, Deathbringer, Les druides, Terres d'Ynuma, et les labels Drakoo et Aventuriers d'ailleurs (Le Destin d'Amrak, Eilin au fond de l'eau). Et côté super-héros chez Urban Comics, on notera un alléchant Superman Treasury et surtout un Wonder Woman & Harley Quinn écrit par le Français Sylvain Runberg, qui inaugure la collection « DC Création » accueillant des histoires originales de héros DC Comics par des auteurs européens.
Urban Comics sera aussi solide au rayon fantastique, avec Les soeurs Seasons, The Moon Is Following Us, Derrière la porte et Hyde Street. Dans le genre, on lira aussi avec intérêt Une invitée dans la demeure (404), L'hôtel de l'Autre monde (Ki-oon), Tisseuse (Ankama), Monsieur Chouette (L'Association), Malanotte (Steinkis/Aux confins) ou Le secret de Présentine Ramondore (Oxymore).
Mais c'est un genre d'un autre temps qui s'affirme en cette rentrée : le western. Hors suite de séries, on chevauchera auprès de La ballade des frères Blood (Delcourt), La ruée vers l'or (Glénat), Blue Tattoo (La Boîte à bulles), Pump (Anspach), Women of the West et Leave them alone chez Bamboo/Grand Angle, La vallée des oubliées et la comédie On les appelle Junior et Senior au Lombard, le décalé Ciao cowboy (Misma), l'horrifique Skinwalkers (Drakoo) et les hommages Sur la piste de Blueberry, album collectif, et un Lucky Luke par Appollo et Brüno chez Dargaud.
Polar dynamique et jeunesse atone
Le polar résiste aussi avec notamment un très attendu nouvel opus, Dans la tête de Sherlock Holmes (Ankama) ainsi que Palmer dans le rouge (Dargaud) et Un léger goût sous le palais (Petit à Petit), suite du culte Un léger bruit dans le moteur. Mais aussi L'autre tournée (Çà et là), Que d'os ! (Dupuis/Aire noire), La vérité sur l'affaire Dolorès B. Cooper (Misma), Funestes amours (Cornélius), Saudade et Rock'n'roll Suicide chez Sarbacane, Moonlight express (Seuil) et Les carnets de Stamford Hawksmoor (Delirium).
C'est finalement la jeunesse et les titres pour ados qui marquent le pas en cette rentrée, avec pas mal de suites de séries BD (Brume, Animal Jack, Foudroyants,...), mangas et webtoons, mais relativement peu de nouveautés. Parmi les projets les plus attractifs, citons tout de même Euy (Dupuis/ Les Ondines), Skeletos (Seuil jeunesse), Chiwawow (Biscoto), La fleur des absents et La nuit aux loups (Casterman), Orso (Auzou), Mission monstres (Albin Michel), Après l'école (Jungle) ou Les maudites (Sarbacane). Et pour les plus grands : Sans voix et Sid Cooper chez Glénat, La semaine où je ne suis pas morte, Polygone et Vertu de Saint-Cyr chez Dargaud.
La bande dessinée proposera, une nouvelle fois, une rentrée extrêmement variée avec ses valeurs sûres et ses découvertes. Même s'il faut bien constater un certain ralentissement chez les indépendants et une prise de risque modérée chez les grands éditeurs. L'euphorie post-Covid semble bien loin désormais... Mais pour les plus audacieux, quelques perles inclassables sont annoncées, telles Tongues d'Anders Nilsen (Atrabile), La lune et le serpent (Delcourt) ou Drome (404). De quoi faire rêver et souligner que l'innovation narrative et visuelle est encore bouillonnante dans un secteur qui n'en finit plus de grandir et de mûrir.
Ariol, star de librairie et guide de musée
Alors qu'il a depuis longtemps dépassé les 2 millions d'exemplaires vendus de ses vingt tomes dans la collection « BD Kids », Ariol ne compte pas s'arrêter là. Le petit âne bleu, créé par le scénariste Emmanuel Guibert (Grand Prix d'Angoulême 2020) et le dessinateur Marc Boutavant (Grande Ourse à Montreuil en 2022), fêtera en grande pompe la sortie de son 21e opus (le 5 novembre). En effet, à l'occasion des dix ans de la réouverture du Musée de l'Homme à Paris, l'institution et Bayard Jeunesse ont conçu un guide de visite destinée aux enfants, Ariol au musée. Le lancement aura lieu le 4 octobre, notamment avec un Ariol Show (spectacle où Emmanuel Guibert chante tandis que Marc Boutavant dessine !) dans l'auditorium du Musée. Par ailleurs, l'éditeur et la Bibliothèque nationale de France lanceront, au même moment, un podcast original de 8 épisodes de 10 minutes, scénarisé par Emmanuel Guibert, mettant en scène Ariol et sa classe visitant le Musée de la BnF de la rue Vivienne.