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Fantasy, SF, fantastique : les mutations du marché de l'imaginaire

rayon Science-fiction de la librairie Gibert Joseph - Photo OLIVIER DION

Fantasy, SF, fantastique : les mutations du marché de l'imaginaire

De la SF à l'horreur en passant par la cosy fantasy, la littérature dite de l'imaginaire joue avec le réel pour mieux y mettre le doigt. Un segment éditorial foisonnant et à la fabrication soignée, porté par de la romance, des adaptations visuelles et des auteurs d'horizons culturels des plus variés.

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Par Fanny Guyomard
Créé le 03.10.2025 à 17h30

Quand le monde va mal, la littérature de l'imaginaire se porte bien. « On doit réenchanter le monde », défend Olivier Girard, créateur des éditions Le Bélial', mentionnant Ray Nayler (Défense d'extinction, paru en mai). Il publie en octobre Cuirassés, d'Adrian Tchaikovsky, récit horriblement drôle sur une guerre entre pays anticapitalistes et puissances consuméristes. Avec l'Intégrale du Bâtard de Kosigan de Fabien Cerutti, Mnémos verse volontiers dans l'humour. C'est sa meilleure vente du premier semestre.

Brigitte Leblanc
Brigitte Leblanc, directrice éditoriale du Rayon imaginaire- Photo OLIVIER DION

Succès en demi-teinte. La croissance de 2,4 % du marché (porté à 92 millions d'euros) sur la période de juillet 2024 à juillet 2025 est portée par la fantasy et le fantastique (+ 9 %), quand la SF chute de 12 %. Les Moutons électriques ont déposé le bilan en début d'année.

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La vitalité des festivals de genre ? Les Imaginales (Épinal), Trolls & Légendes (Belgique), Les Hypermondes (Mérignac), Les Intergalactiques (Lyon), l'Ouest hurlant (Rennes), Échos et merveilles (Toulouse), Étrange-Grande (près de Thionville) Éric Marcelin, fondateur des éditions Critic, nuance : « Ces foules que l'on rencontre dans les festivals ne sont qu'un microcosme. » La librairie SF des Utopiales (Nantes) dévalisée ? « Les gens viennent faire leurs courses pour toute l'année », commente Pascal Godbillon, éditeur chez Denoël et Folio SF.

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Olivier Pillé, éditeur romans jeunesse aux éditions du Rouerge/Actes Sud.- Photo OLIVIER DION

En festival, les files s'étirent pour la romance. Après une année record avec 15 % de croissance pour le leader du genre, Hugo Publishing, « 2025 se présente plutôt pas mal, même si beaucoup de monde est arrivé sur le marché », observe son directeur, Arthur de Saint Vincent. À présent, Hugo ne dépassera donc plus les 460 nouveautés annuelles. « Faire mieux mais moins », résume son directeur, comme nombre d'éditeurs.

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Arthur de Saint Vincent, président d'Hugo Publishing.- Photo OLIVIER DION

Le public, lui, s'élargit, observent plusieurs maisons de fantasy : les lecteurs de young adult lisent encore à 30 ans. « Et les auteurs qui écrivaient auparavant pour les ados nous proposent aujourd'hui du young adult. On le ressentira bien l'année prochaine », remarque Olivier Pillé, éditeur chez Rouergue, parlant de sa collection fantasy « Epik », qui fête ses dix ans.

Diversité

L'imaginaire se passe de cases. « Les autrices ne se demandent plus pour qui elles écrivent : elles vont d'un genre à l'autre et affirment leur singularité », constate Pascal Godbillon, mentionnant Margot Dessenne, Maelle Desard, Siècle Vaëlban, Christelle Dabos. Ajoutons la folkloriste et poétesse GennaRose Nethercott (connue pour La maison aux pattes de poulet, édité par Albin Michel), qui revient avec un recueil de nouvelles en octobre. Ou encore Céline Minard et son Tovaangar, paru en août chez Rivages. Grand Prix de l'imaginaire 2022 pour Plasmas, elle est publiée en littérature générale. Comme le professait Glenn Tavennec, directeur du label Verso aux éditions du Seuil, dans une interview donnée en 2024 : « Ce qu'il faut, c'est revenir aux ingrédients qui font les best-sellers : mélanger les genres ! »

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Valentin Baillehache, directeur de « Rivages/Imaginaire ».- Photo OLIVIER DION

Bragelonne s'est mis aux mangas en 2021, avec le label Mangetsu, Hachette Heroes aux adaptations graphiques, comme pour l'adaptation BD du Problème à trois corps de Liu Cixin. « La BD est une porte d'entrée », suggère Brigitte Leblanc, directrice éditoriale du Rayon Imaginaire. Le Livre de Poche a, lui, publié le 20 août la première adaptation BD autorisée par les ayants droits, Le sorcier de Terremer d'Ursula K. Le Guin.

La lucarne indécente vend le roman en alexandrins Yr de Thomas Stalens, mariant robotique et vikings. « Le récit historique attire de nouveaux lecteurs qui y trouvent une caution de savoir », analyse globalement Éric Marcelin.

Imaginaire, vraiment ? Nombre de titres cherchent au contraire à démystifier le surnaturel. Dans l'impressionnante Guerre du Pavot de R. F. Kuang (De Saxus), les dieux ne sont pas responsables du monde qui brûle, ce sont les hommes. Et les héros dotés de pouvoir ne viendront pas les sauver, retient-on encore dans Le royaume en péril de Thomas D. Lee (Christian Bourgois), où la véritable héroïne est une écoterroriste, qui nous rappelle que « Personne n'a besoin que des chevaliers en armures rutilantes viennent nous sauver. On doit se sauver nous-mêmes. »

Brigitte Leblanc a opté pour une couverture blanche sur Le chant des noms de Jedediah Berry, éloignée des codes du genre science-fiction, fantasy, fantastique (SFFF). « Auparavant, beaucoup de personnes lisaient soit de la littérature générale, soit de l'imaginaire. Aujourd'hui, elles lisent les deux, assure David Meulemans, président d'Aux forges de Vulcain. On profite de l'effet Harry Potter. Une fois adultes, les lecteurs conservent une tendresse pour cet univers. » Côté auteur, Éric Marcelin analyse : « On vit dans un monde de SF, on peut lire dans les cerveaux, lancer des fusées, cibler des cellules cancéreuses, alors les auteurs vont écrire naturellement sur des enjeux qui étaient auparavant propres au genre ». L'imaginaire sied bien à l'hallucinante réalité.

Repousser les frontières

Contre le déjà-vu, les éditeurs dénichent des voix singulières par leur diversité géographique. « Malaisie, Chine… On va encore ouvrir notre catalogue, dans un contexte où les esprits ont tendance à se fermer, explique Simon Pinel, cocréateur des éditions Argyll, lorsque nous l'interviewons à une période où les conflits géopolitiques se multiplient. On a besoin d'aller voir de nouveaux imaginaires, ça fait trop longtemps qu'on fait de la fantasy inspirée du Moyen Âge occidental ».

Claire Renault Deslandes, directrice éditoriale chez Bragelonne
Claire Renault Deslandes, directrice éditoriale chez Bragelonne- Photo OLIVIER DION

Grosses sorties chez Hachette Heroes : L'Oiseau qui boit des larmes du « Tolkien coréen » Lee Young-Do, infusé des légendes de son pays, et Le trône de Jasmin de l'Indo-britannique Tasha Suri. Et chez Calix, The Hurricane Wars, de la Philippine Thea Guanzon. Bragelonne a publié en juin une autre autrice philippine, Samantha Sotto Yambao avec Water Moon, fantasy à mi-chemin entre l'univers de Ghibli et Tant que le café est encore chaud, et avait publié en septembre 2024 Les portes de Lumière du Sri-Lankais Vajra Chandrasekera.

En 2026, l'autrice japonaise Nahoko Uehashi, l'une des principales autrices de fantasy du Japon, fera son entrée chez Actes Sud. L'objectif pour son homologue « Rivages/imaginaire », collection portée par Valentin Baillehache, est de « continuer à explorer d'autres territoires pour tenir notre promesse initiale de diversité ». Amérique du Sud, Mexique… Le Canadien Evan Winter, d'origine zambienne, voit paraître en octobre le premier tome de sa saga de fantasy adulte africaine The Burning : La Rage des dragons. « Hollywood a fait l'effort d'une plus grande diversité dans le casting de Tolkien, le jeu de cartes Magic a un peu suivi le mouvement, mais le folklore africain est sous-représenté en fantasy », analyse son éditeur. Lacune réparée.

Tandis que d'autres éditeurs se recentrent… sur la France ! Les éditions du Rouergue cherchent à diminuer la part de traductions. Et Bourgois éditera son premier auteur français en janvier.

Le coup de pouce des écrans

Pourquoi Le livre perdu des sortilèges de Deborah Harkness, sorti en 2012 au Livre de poche, voit-il ses ventes rebondir en 2025 ? Car Netflix diffuse cette saga de vampires depuis avril. Même phénomène pour Journal d'un AssaSynth de Martha Wells (L'Atalante) avec la sortie de la série sur AppleTV et Canal+.

Les éditeurs ont saisi le filon. Un nouveau Jurassic Park sort ? Pocket réimprime le roman de Michael Crichton. Et Dune, chef-d'œuvre de Frank Herbert adapté dernièrement par Denis Villeneuve, figure toujours en bonne place dans son catalogue. En parallèle de la sortie du film, la collection « Ailleurs et Demain » (Robert Laffont) a révisé toute sa traduction de la saga. « Les adaptations, c'est du pain béni pour les éditeurs. Pour le collector de Dune, les 15 000 ventes ont dépassé nos attentes », illustre sa directrice littéraire Camille Racine.

Camille Racine, directrice littéraire chez Robert Laffont
Camille Racine, directrice littéraire chez Robert Laffont- Photo OLIVIER DION

Avec Silo de Hugh Howey ou The Expanse de James S. A. Corey, Actes Sud n'est pas en reste. Et en 2025, la maison surfe sur la série du Problème à trois corps pour publier le nouveau roman de l'auteur, Liu Cixin, Des dinosaures et des fourmis.

Hugo Publishing - dont la bonne fortune repose en partie sur les ouvrages de Colleen Hoover, autrice vectrice de 920 000 ventes en 2024 adaptée au cinéma et sur Prime Video - fait même du cross marketing avec Netflix, prévoyant une sortie concomitante du film et du livre Damsel d'Evelyn Skye. Stratégie à double tranchant, prévient Arthur de Saint Vincent : « Quand un film est mauvais, ça n'aide pas. » Le film Life of Chuck, vanté par la presse, est tiré d'un recueil de nouvelles de Stephen King. Problème : l'ouvrage ne porte pas le même nom - Si ça saigne, publié chez Albin Michel. Mais ce qui importe peut-être davantage que le titre ici, c'est le nom de l'auteur. Donc c'est gagnant.

Retrouvez en document lié en haut à gauche de cet article le PDF du classement Livres Hebdo / Gfk des meilleures ventes d'imaginaire d'août 2024 à juillet 2025.

Mais aussi

Les grands tirages :

> Le 1er octobre, le phénomène The Witcher (vendu à plus de 30 millions d'exemplaires dans le monde et déclinée en jeu vidéo comme en série sur Netflix), d'Andrzej Sapkowski, s'enrichit d'un opus indépendant, La croisée des corbeaux, chez Bragelonne.

> En janvier 2026, sort chez Folio la Vallée du Silicium d'Alain Damasio. Du même auteur, La Horde du contrevent figure encore parmi les meilleures ventes de la maison cette année et paraîtra en version collector chez La Volte le 25 octobre.

 

Les pépites :

> Entre autres univers, d'Émet North, récit initiatique sur fond de multivers paru chez Lunes d'Encre (Denoël) en mai.

> Guide de survie pour le voyageur du temps amateur de Charles Yu, réédité aux Forges de Vulcain. Un loser répare des machines à voyager dans le temps accompagné de son IA dépressive, pour une réflexion sur la vie.

> Des milliards de tapis de cheveux, d'Andreas Eschbach (L'Atalante), bascule pleinement dans la SF à la centième page dans un retournement vertigineux.

> Le postapocalyptique La vieillesse de l'axolotl de Jacek Dukaj (Rivages) : « Dis-moi quand as-tu réfléchi, ces derniers temps, à des questions du style : "Suis-je un être humain ?",  "Suis-je bien conscient?" (...) Tu ne te les poses plus, ces questions, car tu sais qu'elles n'ont pas de sens. » 

Les 5 grandes tendances en imaginaire

1. La cosy fantasy : de la fantasy drôle dans un univers réconfortant

Titres emblématiques :

> La petite boutique de sortilèges de Sarah Beth Durst (Bragelonne, avril 2025).

> Légendes & Lattes de Travis Baldree (J'ai lu, mai 2025).

> Assistant to the villain, de la BookTokeuse Hannah Nicole Maehrer (septembre 2024). Moteur des ventes de Calix, nouveau label J'ai lu/Pygmalion.

2. L'horreur s'insinue partout

Charleston a inauguré en juin sa collection d'horreur, avec Il était un loup... d'A. K. Benedict. En octobre, Fleuve lance aussi la sienne, baptisée « Styx ». La demande est dynamisée par le cinéma -Twilight ressort ainsi que True Blood, sous le titre La communauté du Sud (J'ai lu). Stephen King est toujours le moteur de ventes du Livre de Poche. Son Conte de fées sorti en janvier figure dans le top 3 des ventes tous éditeurs confondus. J'ai lu réédite La tour sombre du célèbre auteur. « C'est un genre qui se prête bien à la critique sociale, caractéristique de cette époque troublée », justifie Valentin Baillehache, directeur de la collection Rivages/imaginaire. Quand Guillaume Mélère, fondateur des Monts Métallifères, écrit : « Contre l'hégémonie du feel-good, nous croyons en effet aux vertus émancipatrices du feel-bad ».

Un éventail d'horreur :

> Dans le catalogue d'Argyll, horreur ordinaire chez Cassandra Khaw, en septembre et novembre, avec Briser les os et Chanter le silence. Dans Chlorine, Jade Song conte la violence des compétitions et du racisme.

> Horreur poétique dans Festin de larmes de Morgane Caussarieuet Vincent Tassy (ActuSF, mai 2025), et horreur sociale dans la SF cyberpunk d'Une vie de saint de Christophe Siébert (Au Diable Vauvert). L'éditeur publie également en octobre Absolution, le tome 4 de la série Rempart sud de Jeff VanderMeer.

> Une approche philosophique de l'horreur chez Rivages avec Brian Evenson, qui sera présent aux Utopiales.

3. L'écologie toujours en force

Écrivain du vivant, Bernard Werber reste l'une des plus grosses ventes du Livre de Poche - avec Le temps des chimères sorti fin septembre 2024. Sa Valse des âmes (Albin Michel) est dans le top 2 de toutes les ventes en imaginaire.

Parmi les nouveautés notoires, citons encore :

> Poisson poison de Ned Beauman (Albin Michel, janvier 2025), récit d'écologie et d'espionnage industriel tragiquement hilarant.

> la fantasy climatique perfusée de philosophie hindoue Les survivants du ciel de Kritika H. Rao (Albin Michel, septembre 2025).

> la fable philosophique Le monde et vice versa de James Morrow (Au Diable Vauvert, mai 2025).

4. Racisme et genre en question

Les personnages aux formes non humaines permettent de dénoncer des persécutions raciales, les elfes de The Wind Weaver de Julie Johnson (Hugo Publishing), les « nostrems » du space opéra L'arche de mère de Pierre Bordage (Scrineo) ou les êtres de la high fantasy féministe La mandragore de cristal de Stéphanie Benson et Nelly Labère (Syros) sont-ils vraiment les monstres ? Cette remise en question, qui rejoint celle du genre, est puissamment débattue par Ann Leckie dans son déstabilisant recueil de nouvelles Le lac des âmes, ou par Bethany Jacobs dans La constellation des ombres, toutes deux publiées chez J'ai lu. Cette dernière est attendue aux Utopiales pour la parution du tome II.

D'autres titres emblématiques de cette veine :

> Le doux et terrifiant Model Home de Rivers Solomon (Aux forges de Vulcain).

> Rainbow Warriors d'Ayerdhal (Au Diable Vauvert). Dix ans après son décès, la maison publie en octobre le premier volume en 1 500 pages de ses œuvres complètes, comprenant ses premiers space operas féministes.

5. Féminisme et réécritures

À côté de classiques de ventes comme Asimov et son cycle Fondation, adapté en série sur Apple TV+, les éditeurs mettent en valeur le matrimoine. En octobre, les éditions Argyll révèlent enfin Des ombres sur les foyers de Judith Merril. Héroïnes fortes dans les livres de Naomi Novik (J'ai lu), réflexion sur la place des femmes dans Contrer les brumes de Léa Muna (Scrineo, mai 2025 et tome 2 en 2026)... Floriane Soulas, elle, aboutit à travers son récit entremêlant clonage, IA et hacking, à une ode à la sororité dans Soma, publié chez « Ailleurs et demain ». La collection vise une meilleure parité, en publiant Ursula K. Le Guin et Catherine Dufour, distinguée pour Les champs de la Lune. Les hommes aussi se montrent féministes, comme Philippe Battaglia, dans son monumental nouveau testament thriller punk et drôlement gore La dernière tentation de Judas (L'Atalante).

Enfin pour compenser les lacunes du passé, les artistes revisitent les légendes :

> Excaliber de Gabriel Katz (Scrineo) est une réécriture des chevaliers de la table ronde dont le héros est Kay, le frère adoptif d'Arthur.

> Nettle & Bone. Comment tuer un prince de T. Kingfisher (Verso), dans lequel les personnages s'allient pour tuer un souverain cruel. Prix Hugo du meilleur roman en 2023.

> Perséphone, dans lequel Benjamin Carteret donne une voix à la protagoniste pour offrir une lecture féministe du mythe. Publié en 2024 par Charleston et en 2025 par Le Livre de Poche.

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