9 FÉVRIER - POÉSIE France

On n'aurait pu mieux commencer : ce "Blason du cul" est l'oeuvre d'Eustorg de Beaulieu, prêtre-troubadour du XVIe siècle, qui ouvre avec Marot et quelques autres une tradition fertile : celle de la poésie érotique. Le ton est donné : point de règle dans ces pages hors celle de la scansion, point de morale hors de la jouissance que l'on célèbre. Le ton est grivois, mystique, pornographique ; les romantiques solitaires succèdent aux libertins condamnés ; le XXe siècle arrive avec sa cohorte d'amants surréalistes et de méta-jouisseurs. Ici règnent le corps et l'intime sans partage, à travers quelque 350 textes de plus de 200 auteurs. On trouvera des pièces célèbres, comme le fameux sonnet "Je vis, je meurs" de Louise Labé ou des extraits des Poèmes à Lou d'Apollinaire. On tombera sur des perles : l'ode de la "Solitude" de Théophile Gautier, un sonnet de Louis Calaferte. On rencontrera des poètes inconnus, des connus, certains dont on n'aurait pas cru ça (ce cher Malherbe, cet innocent Mallarmé !). On assistera à tout ce qui peut s'envisager dans un boudoir, voire un peu plus. On se soûlera de mots, et comme le dit Guillaume Colletet (proche de Théophile de Viau), "L'on fout en ce livre partout./Afin que les Lecteurs n'en doutent :/Les odes foutent les sonnets,/Les lignes foutent les feuillets,/Les lettres mêmes s'entrefoutent !"

Car cette anthologie a l'immense mérite de donner à voir ce que l'écriture poétique a d'éminemment charnel : le lyrisme et l'image s'y entendent comme des confirmations d'un éblouissement hors de portée du langage, et les mots tentent de le faire revivre comme on quête un absolu. Il est d'ailleurs frappant de constater que les siècles les plus religieux ont donné les textes les plus crus, et qu'à l'inverse les modernes font volontiers du corps un symbole métaphysique. L'onirisme de Picabia côtoie les paillardises de Verlaine, la mélancolie de Cliff et de Pirotte. Le poète Zéno Bianu, qui édite ici sa troisième anthologie pour "Poésie/Gallimard", a fait la part belle aux auteurs contemporains. Au détriment, peut-être, de l'ensemble, un peu déséquilibré ; mais que le lecteur parcourt avec un plaisir non feint.

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