Celui qui tente quelque chose : c’est le sens du mot grec peiratès qui donna pirata en latin. Dès l’Antiquité, ils furent finalement assez nombreux à verser dans ce côté malveillant. Par petits groupes, d’abord. Ce sont les pirates artisanaux, des flibustiers côtiers plus ou moins tolérés. Ils sont pauvres et se contentent des miettes des richesses qui passent à leur portée. Et puis il y a les peuples pirates, véritables nations de brigands qui défient les Etats. Les plus puissants furent les Ciliciens, des pirates issus d’une partie de la Turquie, qui défièrent Rome.
Pour eux, le piratage n’est pas une activité illégale. Ils la justifient comme une forme de commerce particulier, avec ses règles et ses méthodes. Claude Sintes le bien nommé propose une synthèse de ce que l’on sait aujourd’hui de ces forbans d’antan. En exploitant au mieux une documentation rare, en puisant dans les récits, les chroniques, les représentations picturales, avec un sens de l’écriture qui joue sur le plaisir de transmettre, le directeur du musée de l’Arles antique présente vent debout ces communautés de pillards des mers. Il explique leurs fonctionnements, leurs tactiques, leurs façons de partager le butin et montre la spécificité de leurs bateaux, plus petits et plus agiles que les gros navires commerciaux. On se souvient qu’en Somalie, au début de notre siècle, des embarcations de même type terrorisaient les pétroliers et les cargos.
L’auteur d’un ouvrage remarqué sur LaLibye antique ("Découvertes-Gallimard", 2004) évoque bien évidemment l’épisode d’un célèbre kidnapping : celui du jeune César. Sur cette affaire, il pointe les nombreuses incohérences et contradictions. Selon des récits plus ou moins arrangés par César lui-même, il se serait enfui sur une mer déchaînée un soir d’hiver de l’île de Pharmacuse où il était détenu pour revenir le lendemain déloger ses ravisseurs. Claude Sintes émet une hypothèse beaucoup moins héroïque.
De toute manière, ce ne fut pas César mais Pompée qui mit un terme au danger des pirates en divisant le bassin méditerranéen en treize secteurs puis en les sédentarisant pour mieux les contrôler, mais surtout en leur donnant des terres, des semences et des villes. Leur raison de vivre changea mais leur sens du pillage renaîtra sous d’autres latitudes à la fin du XIVe siècle avec une forme d’utopie très différente que résume fort bien la réplique d’un flibustier à Alexandre le Grand, rapportée par saint Augustin : "Comme je n’ai qu’un petit navire, on m’appelle pirate, et parce que tu as une grande flotte, on t’appelle conquérant."L. L.