Marginalisé mais étonnamment vivace : ainsi pourrait-on sommairement résumer le marché de la nouvelle. Autrefois plébiscitée en France, avec un âge d’or au XIXe siècle, cette forme littéraire est tombée en désuétude. La nouvelle parvient difficilement à provoquer de l’intérêt, à de rares exceptions près, comme en 1999 avec la publication de Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part d’Anna Gavalda (Le Dilettante), en 2004 avec Passer l’hiver d’Olivier Adam (L’Olivier, Goncourt de la nouvelle la même année) ou encore en 2007 avec les Microfictions de Régis Jauffret chez Gallimard.
À l’étranger, la nouvelle représente souvent un passage obligatoire dans une carrière littéraire. « Dans les pays anglophones et hispanophones, les auteurs et autrices se font d’abord connaître grâce à des nouvelles, pointe Isabelle Taillandier, fondatrice de La Reine blanche. Le monde germanophone ressemble davantage à la France : les auteurs et autrices percent d’abord avec des romans. Une fois leur notoriété acquise, leurs maisons acceptent alors de publier leurs formes courtes. »
Marginalisation
Pourquoi ce désamour dans l’espace francophone ? Les hypothèses sont nombreuses. « La nouvelle française est restée figée sur le modèle de la nouvelle à chute de Maupassant, notamment à l’école », avance Bernardo Toro, cofondateur avec Florence Didier-Lambert de Rue Saint-Ambroise. « Pendant longtemps, la nouvelle a été cantonnée au recueil. Or les textes n’y sont pas nécessairement d’égale qualité et les recueils sont boudés par les lecteurs et lectrices, car il peut être complexe de passer d’un texte à un autre », souligne Martine Paulais, fondatrice de L’Ourse brune.
« Le roman reste l’objet littéraire par excellence et sa domination se fait au détriment des autres formes littéraires », estime Olivier Salaün, cofondateur d’Antidata. Réputée invendable, la nouvelle souffre de stéréotypes ancrés dans l’imaginaire collectif du livre. L’ensemble des personnes interrogées déplore un délaissement du genre par les « grandes maisons » ainsi qu’un manque de visibilité en librairie et dans la presse culturelle.
Alors qu’il s’apprête à lancer Esquif, en juin dernier, Pierrick Carbuccia approche plusieurs diffuseurs-distributeurs. « L’un d’eux a refusé mon catalogue en me répondant qu’une personne avait essayé de publier de la nouvelle dans les années 1980 et que cela n’avait pas marché », se souvient-il. En somme, « la chaîne se renvoie la responsabilité de la méconnaissance ou de la désaffection autour de la nouvelle », regrette Martine Paulais.
Ébullition
Pour autant, « la forme courte n’est pas moribonde bien qu’elle ait du mal à s’extraire des marges », affirme Olivier Salaün. Des marges principalement investies par les maisons indépendantes et dans lesquelles le genre s’épanouit. Par sa forme, d’abord. « Le texte court n’est pas forcément une nouvelle », explique Pierre Poligone, fondateur de la jeune maison 49 pages. « Il existe une réelle richesse des formes : portraits, scènes, contes, billets… », abonde Florence Didier-Lambert.
Par sa pratique, ensuite. « Le texte court est un genre littéraire très pratiqué, notamment au sein des ateliers d’écriture dédiés qui se multiplient », observe Martine Malinski, cofondatrice avec Nadine Laïk Blanchard de TriArtis. Plusieurs maisons disent d’ailleurs recevoir depuis quelques années bien davantage de manuscrits que dans la période pré-Covid. Par son écosystème, enfin. Il existe une poignée de revues spécialisées comme Rue Saint Ambroise, Brèves, Nouvelle Donne ou encore L’encrier renversé.
Quelques salons dédiés permettent, avec les sites de vente des maisons, de pallier les défauts de diffusion à l’image de Place aux nouvelles (Lauzerte, Occitanie) ou Allons aux nouvelles (Le Vésinet, Île-de-France). Si les prix littéraires restent sporadiques, à l’exception notable du Goncourt de la nouvelle et du prix Bocasse, le genre trouve sa reconnaissance dans les concours de nouvelles qui se compteraient par centaines sur le territoire francophone.
Mais surtout, « le développement de la pratique commence à avoir une incidence sur le marché de l’édition », assure Bernardo Toro. L’éditeur observe « un phénomène de renouveau depuis cinq ans » avec l’émergence accrue de maisons ou de collections dédiées à la nouvelle et aux formes courtes.
Valorisation
Alors que Martine Malinski constate « une grande pratique de la forme courte sur Internet », Bernardo Toro en est intimement persuadé : « La nouvelle possède un avenir dans notre univers numérique que le roman n’a sans doute pas ». Un avenir éventuel aussi dans nos sociétés désormais modelées par l’économie de l’attention. Sonnant comme une promesse, Pierrick Carbuccia a adopté le slogan « Littérature de qualité pour celles et ceux qui n’ont pas le temps » pour Esquif. Pour Pierre Poligone, « le format court est certes une manière de répondre à l’économie de l’attention mais également une porte d’entrée » vers le livre à l’heure où le dernier baromètre bisannuel du Centre national du livre fait état d’une importante baisse de la lecture en France.
Consciente de son pouvoir de séduction, la nouvelle s’organise. « Nous multiplions les lectures et les rencontres avec le lectorat dans des lieux culturels mais aussi à travers des podcasts ou des chaînes YouTube », souligne Martine Malinski qui salue cette « importante dynamique culturelle ». Surtout, le genre commence à se structurer autour du jeune Réseau de la nouvelle et des formes courtes.
Créée en 2023 à l’initiative de Bernardo Toro, l’association fédère plus d’une trentaine de maisons francophones et organise notamment la Journée de la nouvelle. Après un premier temps fort au Forum 104 (Paris VIe) l’année dernière, la manifestation a investi l’Hôtel de Massa le 16 novembre dernier pour sa deuxième édition. Selon la maxime « l’union fait la force », le Réseau entend regrouper les acteurs et actrices qui gravitent autour des formats courts sur l’ensemble du territoire hexagonal. Son ambition : « Électriser le désir et redonner à la nouvelle sa visibilité », explique Bernardo Toro. Avec l’espoir pour les formes courtes d’emprunter le même chemin de reconnaissance que la poésie a parcouru avant elle. La voie commence à se tracer.
