Si Amazon peut imposer son rapport de force aux Etats-Unis, il doit composer avec une réglementation autrement plus contraignante en France. La proposition de loi (PPL) sur les frais de port, momentanément gelée en raison de sa mise sous examen par la Commission européenne, va repartir dans le processus législatif, explique-t-on au ministère de la Culture. La nature du texte rendait son signalement obligatoire à la Commission, qui s’est s’inquiétée de possibles entraves à la concurrence intra-européenne. La procédure prévoit aussi un délai pendant lequel l’examen de la loi était suspendu.
Cette période de notification a pris fin le 19 mai. Le gouvernement français a rédigé ses réponses aux interrogations de la Commission, et cette PPL clairement destinée à contenir l’expansionnisme d’Amazon au nom de la protection de la diversité éditoriale va repartir en seconde lecture au Sénat très vraisemblablement le 23 juin.
La démonstration de force du cybermarchand aux Etats-Unis conforte l’initiative française, ce qu’Aurélie Filippetti a souligné dans un communiqué déterminé, annonciateur de la fermeté qu’elle devrait afficher lors de la discussion parlementaire. Evoquant un "chantage", une "menace pour les éditeurs", elle demande à la Commission d’"exercer toute sa vigilance pour prévenir des situations d’abus de position dominante" et rappelle sa "volonté de préserver la richesse éditoriale et la diversité des canaux de vente de livres en France", objet du texte de loi.
Déposé par les députés de l’UMP, réécrit par le gouvernement, renforcé par les sénateurs, toujours voté à l’unanimité, il interdit à la fois le rabais de 5 % et la gratuité totale de la livraison des livres vendus sur Internet, de façon à redonner un avantage aux librairies physiques. Nombre d’entre elles proposent cette réduction de 5 % via une carte de fidélité : les livres seront donc moins chers chez elles que chez Amazon, lorsque la loi sera votée. Tout le monde souhaite que les sénateurs ne changent plus une virgule, pour obtenir une promulgation rapide. D’autant qu’un article sur le contrat d’édition, aussi très attendu par les auteurs et les éditeurs, s’est rajouté en cours de discussion.
Evasion fiscale.
D’autre part, le gouvernement français réclame toujours quelque 200 millions d’euros à Amazon en raison de son système d’évasion fiscale mis en place avec la complaisance du Luxembourg. Habituellement discret, le site a récemment communiqué sur l’extension de son quartier général à Luxembourg : il s’agit de montrer qu’il y a là une vraie activité, et pas simplement une adresse prétexte à dissimulation de bénéfices. Après un contentieux jusqu’en cassation où Amazon a perdu, plus rien ne filtre du dossier. Il est probable qu’il se règle par une discrète transaction, dont la seule preuve sera la disparition des trois lignes en fin du rapport annuel de la société, avertissant ses actionnaires que le fisc français la poursuit de ses rigueurs.Hervé Hugueny
