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François Gèze : "Il n'y a aucun risque avec Relire, sinon que les livres se vendent"

François Gèze. - Photo olivier dion

François Gèze : "Il n'y a aucun risque avec Relire, sinon que les livres se vendent"

François Gèze, président du comité scientifique du Registre des livres indisponibles en réédition électronique, dresse un premier bilan de ce projet unique au monde. S’estimant lésés dans leurs droits, des auteurs ont toutefois déposé un recours au Conseil d’Etat.

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Par Hervé Hugueny,
Créé le 19.04.2015 à 18h42 ,
Mis à jour le 20.04.2015 à 10h47

Dans les prochaines se- maines, la diffusion des premiers titres du programme de remise sur le marché des livres indisponibles du XXe siècle pourra démarrer. "Il n’y a aucun risque pour les éditeurs, sinon que les livres se vendent", se réjouit François Gèze, ancien P-DG de La Découverte dont il dirige toujours des collections, et président du comité scientifique qui sélectionne les ouvrages à verser dans la base du Registre des livres indisponibles en réédition électronique (Relire).

C’est l’aboutissement d’un projet unique au monde, imaginé en 2009 en réponse à la numérisation de masse entreprise par Google cinq ans plus tôt et très vivement contestée. L’objectif est de faire la jonction entre les titres du XIXe siècle, libres de droits et numérisés, et les nouveautés. Au milieu, des centaines de milliers de livres publiés au XXe siècle étaient gelés, toujours sous droits d’auteur mais plus exploités faute de potentiel commercial certain. Leur version numérique pouvait offrir des perspectives de redécouverte patrimoniale, de recherche universitaire et de remise sur le marché, mais sans clause explicite dans ces contrats anciens, leur numérisation était illégale ; y ajouter des avenants était un travail d’une ampleur décourageante.

Droit de retrait

Dans son principe, la loi du 1er mars 2012 relative à l’exploitation numérique des livres indisponibles du XXe siècle reprend le système imaginé par le moteur de recherche américain, à savoir que les ayants droit sont réputés d’accord, sauf s’ils expriment un avis contraire : c’est l’opt out, en version anglaise. "La recherche des auteurs et des éditeurs de ces livres est longue et très complexe, d’où la nécessité de l’opt out, c’était incontournable, mais c’est bien encadré, précise François Gèze. La loi prévoit notamment six mois de délai entre l’inscription d’un titre dans le Registre et son entrée en gestion collective, pour informer les ayants droit. Les auteurs conservent un droit de retrait à tout moment, même après ce délai.""La méthode de Google, rappelle-t-il, n’avait rien à voir : un éditeur ou un auteur pouvaient demander le retrait de leurs livres, mais ce n’était jamais définitif car Google numérisait des fonds entiers de bibliothèques qui contenaient souvent les mêmes titres."

Quelques auteurs, notamment en SF et fantasy où la production est abondante et le fonds peu suivi, estiment toutefois que ce procédé d’accord présumé va à l’encontre de leurs droits. Ils ont déposé un recours au Conseil d’Etat, qui l’a tout d’abord transmis au Conseil constitutionnel, lequel n’a rien trouvé à redire à la loi. Le rapporteur propose maintenant de solliciter l’avis de la Cour de justice de l’Union européenne sur la conformité du décret avec la réglementation européenne, selon Actualitté.com. Le Conseil d’Etat rendra sa décision d’ici à quelques semaines.

Le comité scientifique de sept membres (trois représentants des éditeurs, des auteurs et un de la Bibliothèque nationale de France) sélectionne les titres à l’aide du catalogue de la BNF et de la base Dilicom, la plateforme de transmission de commande des libraires, qui lui permet de vérifier leur indisponibilité. Il établit ensuite des corpus thématiques, publiés chaque année le 21 mars. "Pour la première liste de 2013, de 55 000 titres publiés à fin du XXe siècle, nous avons privilégié des thèmes susceptibles d’intéresser un public assez large, dans la fiction et la non-fiction, en laissant de côté la BD et la jeunesse. Pour les deuxième et troisième vagues, de 35 000 et 70 200 titres, nous avons davantage mis l’accent sur certains corpus spécifiques, comme la poésie, le théâtre, le policier, l’histoire régionale ou coloniale. Chacun de ces ensembles compte plusieurs milliers de références, qui auront globalement un sens", explique François Gèze. Le volume total serait d’environ 500 000 livres, "mais personne ne le connaît précisément, c’est une hypothèse". Ce programme ne concerne pas l’exploitation papier, pour laquelle les éditeurs sont réputés avoir toujours les droits.

La Sofia gère les droits

"La gestion des droits numériques attachés aux ouvrages qui n’ont pas été retirés du Registre par leurs ayants droit est confiée à la Sofia [Société française des intérêts des auteurs de l’écrit, NDLR], choisie en raison de son organisation paritaire", ajoute le président du comité scientifique. La société de gestion du droit de prêt en bibliothèque est cogérée par des auteurs et des éditeurs. A l’issue de ce délai de six mois, "la Sofia propose une licence exclusive d’exploitation aux éditeurs d’origine des livres versés dans la base. Ils peuvent la refuser ou l’accepter, et se charger alors eux-mêmes de leur exploitation, ou la confier à la société de projet créée dans ce but". Fondée en juillet 2014 et baptisée FeniXX, pour Fichier des éditions numériques des indisponibles du XXe siècle, cette société est une filiale du Cercle de la librairie (qui possède également Electre, société exploitante de la base du même nom, et éditrice de Livres Hebdo). FeniXX est dirigée par Régis Habert, qui avait lancé Izneo, la plateforme de distribution de BD. La société se chargera de la diffusion et de la distribution de ce contenu auprès des librairies et des bibliothèques, mais ne vendra pas en direct.

L’intérêt économique des éditeurs

"Les éditeurs d’origine ont intérêt à prendre ces licences, qui élargissent leur catalogue numérique de façon significative, et leur donnent des garanties juridiques vis-à-vis des ayants droit. Par ailleurs, FeniXX peut obtenir des tarifs de numérisation avantageux en raison du volume qu’elle négocie", souligne François Gèze. Pour financer son démarrage, "elle dispose d’un capital de départ de 1,6 million d’euros souscrit par le Cercle de la librairie, et d’un emprunt à long terme souscrit par tranches auprès de la Caisse des dépôts et consignations, et consacré spécifiquement au financement de la numérisation", rappelle-t-il, sans souhaiter préciser le montant de cet emprunt. Il est aussi de l’intérêt économique des éditeurs de sous-traiter la réexploitation numérique de leurs livres à FeniXX : elle ne leur reversera certes que 10 % sur les ventes, mais elle prend tous les frais à sa charge, et porte l’ensemble du risque de ce projet. "C’est un risque raisonnable, étalé au moins sur une dizaine d’années. Il y a des pépites dans ce fonds, et il y aura un intérêt de bibliothèques du monde entier", assure le président du comité scientifique. Les grilles tarifaires ne sont pas encore établies. Les auteurs reçoivent pour leur part 15 % des recettes (dans le cas de la licence exclusive), avec un minimum de 1 euro.

Les éditeurs ont pris en licence exclusive à peu près la moitié des 55 000 titres de la première vague, pour les confier à FeniXX. Le solde correspond surtout à des références dont les ayants droit n’ont pu être identifiés. FeniXX les exploitera en licence non exclusive : d’autres éditeurs peuvent aussi les reprendre. Mais presque personne ne s’est manifesté, en raison des contraintes et des droits. Ils sont renforcés si un exploitant prévoit une diffusion sous des formats de fichiers non interopérables - Amazon par exemple. Le cybermarchand a pris contact avec la Sofia mais n’a pas donné suite. Et Google ne s’est pas manifesté. Le moteur de recherche a pourtant numérisé une masse considérable de ces livres du XXe siècle, mais il est apparemment passé à autre chose. d

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