Entretien

Françoise Bourdin racontée par sa fille et son éditrice

Françoise Bourdin et Frédérique Le Teurnier. - Photo Mélania Avanzato

Françoise Bourdin racontée par sa fille et son éditrice

Les éditions Récamier republient De vagues herbes jaunes, deuxième livre de Françoise Bourdin, que la romancière à succès disparue l’an passé avait écrit en 1973. Parallèlement, elles publient le premier roman de sa fille, la journaliste radio Frédérique Le Teurnier, Rendez-vous au point zéro. Interview croisée de l'autrice et son éditrice, Céline Thoulouze.

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Par Jacques Braunstein
Créé le 11.10.2023 à 17h56 ,
Mis à jour le 12.10.2023 à 08h22

Livres Hebdo : Pourquoi republier le deuxième roman de Françoise Bourdin, De vagues herbes jaunes, qui n’était plus disponible depuis de nombreuses années malgré le succès de l’autrice ?

Céline Thoulouze : De vagues herbes jaunes est le tout premier roman de pure fiction que Françoise a écrit. C’est sa bible, le livre qui contient déjà toutes les thématiques qu’elle explorera dans ses ouvrages, pendant des décennies. C’est aussi le titre qui l’installe comme une autrice confirmée, capable de descriptions somptueuses – notamment de la nature – et de donner vie à des personnages authentiques et complexes. C’est également un roman très important pour la toute jeune femme de 20 ans qu’elle était lors de sa rédaction. Françoise évoquait d’ailleurs souvent avec passion les souvenirs du tournage de l’adaptation du roman par Josée Dayan pour la télévision, avec le magnifique Laurent Terzieff dans le rôle principal. Mais lorsque, de mon côté, j’ai voulu lire le roman, je me suis rendu compte qu’il était tout simplement introuvable. J’ai heureusement eu accès aux archives de Françoise. Une chance que ses lecteurs fidèles n’ont pas eue. Avec ses deux filles, il nous a donc paru indispensable de satisfaire ses lecteurs et de rendre hommage à Françoise, en proposant à nouveau ce livre, d’une modernité étonnante, en librairie. Du reste, je suis convaincue que De vagues herbes jaunes permettra à un nouveau lectorat de faire la connaissance de cette grande écrivaine française qu’était Françoise Bourdin.

Pourquoi commencer par le deuxième roman de Françoise Bourdin et pas par le premier ?

C. T. : Le premier roman de Françoise Bourdin, Les Soleils mouillés, est une fiction tirée de la vie de Françoise. C’est un texte autobiographique, plutôt différent de ce qu’elle a écrit le reste de sa vie. Il était aussi moins « urgent » à republier puisque disponible en version numérique (pas en version imprimée). Mais nous allons également le rééditer prochainement avec une nouvelle couverture, afin de faire découvrir cette autre facette de Françoise Bourdin.

Envisagez-vous de republier d’autres romans de Françoise Bourdin ?

C. T. : Après Les Soleils mouillés, nous publierons également Sang et Or, un autre introuvable, et nous publierons le dernier inédit de Françoise Bourdin, roman qu’elle était en train de terminer au moment de sa disparition.

L’histoire de De vagues herbes jaunes a pour personnage principal un paysan obligé de vendre son exploitation, transmise dans sa famille depuis plusieurs générations. Une thématique très actuelle alors que le récit date de 1973.

C. T. : En effet, le personnage principal se retrouve confronté, cinquante ans en arrière, à ce que connaissent aujourd’hui beaucoup de familles d’agriculteurs et d’éleveurs. Pris à la gorge, ils sont contraints de renoncer à leurs biens du fait de la difficulté à entretenir un domaine familial, dans un monde qui s’industrialise et laisse peu de place à ce type d’exploitations. Dans le cas de Cyril, le dernier des Montignac, il est aussi question de la lourdeur de l’héritage, d’autant plus lourd à porter que ses aspirations personnelles le poussent ailleurs. C’est une thématique on ne peut plus moderne que Françoise ne cessera d’exploiter, bien avant que cela ne soit à la mode : au-delà du déterminisme familial et social, chacun peut choisir d’être maître de son destin.

Le style est également étonnant : assez peu de descriptions, beaucoup de dialogues, pas beaucoup d’action au sens de retournements de situation ou de suspens, excepté pour la scène d’ouverture. Mais une attention aux gestes les plus quotidiens. 

Frédérique Le Teurnier : Cette écriture est, selon moi, d’une grande modernité, mais aussi le reflet de ce qu’elle avait envie d’écrire à cette période. Au début, elle était peu connue et pouvait se permettre d’expérimenter. Après cela, ses lecteurs voulaient retrouver à chaque publication la formule magique Bourdin, ce qui a probablement dû impacter sa liberté.

Vous publiez votre premier roman, Rendez-vous au point zéro. Quelle a été l’influence de votre mère sur votre écriture ? Sa présence était-elle stimulante, bloquante ? Est-ce un hasard que votre personnage masculin porte le même nom que celui de De vagues herbes jaunes : Cyril ?

F. L. T. : Ma mère est sans doute celle qui m’a donné envie d’écrire au sens large, évidemment. Lorsqu’elle a lu le début de Rendez-vous au point zéro, elle a été infiniment respectueuse, elle l’a aimé et m’a soutenue mais n’a en rien voulu interférer ou influencer ma façon d’écrire, ou le choix de mon sujet. Sa présence a toujours été stimulante. Fin 2022, nous avons eu la joie de nous prêter nos manuscrits respectifs et d’échanger sur nos points de lecture, tous deux suspendus autour de la page 150. Ce fut un bonheur partagé, une complicité de plus entre nous, qui étions déjà si proches. Quant au prénom Cyril, c’est un hasard total. J’avais commencé l’écriture en septembre 2022, alors que ma mère était encore de ce monde, et nous n’imaginions pas ressortir De vagues herbes jaunes un jour. C’est un livre qui date des années 1970. Je l’ai lu lorsque j’avais quinze ans et très honnêtement, je ne me souvenais même pas que le personnage masculin s’appelait Cyril. Cela n’a pas non plus frappé ma mère à la lecture du début de mon texte, puisqu’elle avait sorti beaucoup de titres depuis, avec de nombreux prénoms. Après son décès, j’ai trouvé cette synchronicité surprenante et très belle. Il était hors de question pour moi de changer le prénom de mon héros. Cela nous rapproche encore plus.

En revanche, si l’on compare les univers de ces deux livres, on ne peut que constater le contraste entre Saint-Cirq et la Grande-Motte, les adultes du premier et les ados du second… Est-ce une volonté de se démarquer ou peut-être un hasard ?

F. L. T. : Je ne pense absolument pas en ces termes, en réalité. Chacune a ou avait des inspirations différentes, un univers à soi. Je ne voulais ni spécialement me démarquer ni l’imiter. Au contraire, c’était une richesse de ne pas être intéressées par les mêmes choses. Ma mère était curieuse et aimait que je lui fasse découvrir des choses, et inversement.  Elle avait d’ailleurs eu un coup de cœur pour la ville du Havre, après que nous en ayons parlé ensemble et qu’elle ait accepté de m’y accompagner. Une de ses histoires se déroule là-bas, Face à la mer. Et c’est elle qui m’a emmenée à la Grande-Motte enfant. Comme quoi…

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