Avant-critique Essai

Georges Vigarello, "Une histoire des lointains. Réels ou imaginaires" (Seuil) : Le monde devant soi

La Voix lactée, image réalisée le 12 avril 2021 par l'European Southern Observatory (ESO). - Photo © ESO/H.H. Heyer

Georges Vigarello, "Une histoire des lointains. Réels ou imaginaires" (Seuil) : Le monde devant soi

Le grand historien du corps Georges Vigarello s'interroge sur la notion d'horizon et notre manière de le ressentir.

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Par Laurent Lemire
Créé le 13.10.2022 à 14h00

Voilà un ouvrage que l'on peut qualifier de limite sans être péjoratif, parce qu'il concerne justement notre perception de l'horizon et des frontières. Il n'est d'ailleurs pas surprenant que le grand historien du corps Georges Vigarello s'approprie un tel sujet puisque c'est avec nos sens autant qu'avec notre imagination que nous ressentons cette distance. L'auteur propose ainsi une autre approche de ce qui est loin, de cet ailleurs qui fit de l'Occident un pourvoyeur de rêves.

« L'histoire des lointains proposée ici ambitionne de revisiter l'histoire elle-même, jusqu'à en faire un projet "total". Loin de se limiter à celle des découvertes, elle montre comment, en déclinant les rêves d'ailleurs, elle décline aussi, à sa manière, une histoire de l'humanité. » C'est un beau terme que l'on n'emploie plus beaucoup, les lointains. Il évoque les voyages, les découvertes, le bord du monde. Il est moins vaste que l'infini, moins intimidant que l'absolu, il laisse entendre qu'on pourrait tout de même l'atteindre, un peu comme l'horizon dont on sait pourtant que sa particularité est de fuir à mesure que nous avançons.

Georges Vigarello examine la notion sous toutes ses coutures et nous la montre sous ses plus beaux atours à travers de magnifiques illustrations qui font voyager dans le temps ainsi que dans l'espace puisqu'il est aussi question de l'univers et de ces planètes convoitées. Mais c'est bien sûr le passé qui nous intéresse, avec ces limites du monde où demeure l'humain et les confins au-delà desquels vivent les monstres et les chimères. Ce bestiaire fabuleux a été répertorié et reproduit pendant des siècles depuis l'Antiquité jusqu'aux Lumières. Des lointains différents, plus ou moins proches, plus ou moins mystérieux, à bonne distance des croyances et des superstitions.

Après Marco Polo et les grandes découvertes de la Renaissance surgit ce que Vigarello nomme « l'avènement de la curiosité » avec le voyage savant. « La révision de l'observation s'accompagne au XVIIIe siècle d'une révision de l'admiration. » Le spectacle du lointain devient plaisir avec la découverte d'autres corps, d'autres mœurs. La science invente les races, le lointain colonial puis le lointain technique, celui des modes de locomotions, mais on pourrait aussi prendre en compte la dimension psychique. Que comprenons-nous vraiment de l'informatique qui nous entoure, dans laquelle nous sommes immergés, et dont nous sommes finalement si loin ? On voit la richesse du thème et ses déclinaisons à n'en plus finir.

Les lointains sont-ils abolis ? Pas si sûr... Mais le défi, c'est peut-être désormais le proche, le prochain, les autres, la solidarité. « Le loin est peuplé de menaces, d'anomalies, d'existences où la nature semble multiplier les hésitations et les ratés. » C'est maintenant l'image du proche qui inquiète avec ses déchets, sa surpopulation et ses famines. C'est nous qui sommes devenus loin de nous. Quant au lointain désiré il est à deux pas de chez soi. Il suffit d'aller dans une librairie.

Georges Vigarello
Une histoire des lointains. Réels ou imaginaires
Seuil
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 39,90 € ; 216 p.
ISBN: 9782021490442

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