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L’accord de numérisation passé par la Bibliothèque municipale de Lyon avec Google, en 2008, est pour moi de l’histoire ancienne. Mais le récent billet d’Yves Desrichard m’oblige à y revenir.
 
En fait, je n’ai jamais considéré qu’il s’agissait d’une affaire si importante que cela. A mes yeux, la numérisation des ouvrages ne représentait pas le cœur de la révolution numérique, même pour les bibliothèques, à l’exception de la BnF. Je n’ai, d’ailleurs, jamais cru que l’avenir du livre était le livre numérique (cf. mon intervention au colloque The future of the book organisé par Umberto Eco en 1994). L’hystérie qui régnait à ce propos durant les années 1990-2000 me paraissait futile et surtout dilatoire, alors que bien d’autres défis liés au numérique auraient dû mobiliser notre intelligence et nos moyens. Elle traduisait davantage le conservatisme de certains milieux intellectuels qu’une réelle volonté d’élargir le champ de la connaissance. 
 
Cependant, une «fenêtre de tir» existait depuis 2005 pour que quelques bibliothèques puissent faire numériser gratuitement leurs collections patrimoniales et puissent créer à moindres frais leurs propres bibliothèques numériques. Google, Microsoft, Yahoo avaient déjà traité ou souhaitaient traiter avec des bibliothèques et l’on était même en droit de nourrir des espoirs du côté de France Télécom, voire d’autres opérateurs en Europe. Il était logique qu’une grande bibliothèque comme celle de Lyon saisisse une telle opportunité. C’est pourquoi mes collègues et moi-même, avec le soutien de la Ville de Lyon, avons eu l’idée, non pas de répondre aux avances de Google, mais de prendre l’initiative de lancer un appel d’offre.
 
Cet appel d’offre portait sur la numérisation gratuite de près de 500.000 volumes au profit de la BM de Lyon en échange, pour le prestataire, de la récupération d’un double des fichiers correspondants. Certes, nous demandions, en plus, que celui-ci s’engage à rendre ses fichiers immédiatement et gratuitement accessibles en ligne, avec mention de la bibliothèque d’origine. En effet, nous n’étions pas sûr de pouvoir rapidement créer notre bibliothèque numérique et souhaitions que les éditions lyonnaises du 16èmesiècle (par exemple) soient présentes sans délai sur internet à partir des exemplaires de la BM de Lyon. C’est ce qui fut fait finalement par Google Livres. Cependant, notre objectif fondamental était bien de créer notre propre bibliothèque numérique, gérée par des bibliothécaires et autour de laquelle se développerait au fil du temps, en collaboration avec les usagers les plus divers (chercheurs, amateurs éclairés, etc …), un travail d’appropriation et de contextualisation —un travail « dans la dentelle », comme nous le disions, inaccessible directement aux plateformes. 
 
Notre philosophie de la numérisation du patrimoine écrit s’inscrivait dans une perspective de valorisation de la bibliothèque et de démocratisation des usages dont le numérique nous donnait enfin les moyens. Elle tenait en trois points: une numérisation de masse sans présélection intellectuelle ou préjugé culturel; l’ouverture à des usages très divers, universitaires ou non, susceptibles de faire vivre le patrimoine; la contribution de l’écosystème patrimonial ainsi généré à l’offre de contenus plus large de la bibliothèque et à sa dynamique propre. J’ai le plaisir de constater que nos successeurs ont su avancer dans cette voie avec Numelyo. 
 
C’est pourquoi l’éventuel désintérêt de Google pour les livres que pointe Yves Desrichard n’est pas d’une grande importance. Notre finalité, en 2008, n’était pas de remettre notre sort entre les mains de Google. Numelyo pourra continuer à se développer quoi qu’il en soit et de façon autonome —au même titre que Gallica. 

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