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Grenay : un bar au cœur de la bibliothèque

La médiathèque-estaminet de Grenay, dans le Pas-de-Calais. - Photo Véronique Heurtematte

Grenay : un bar au cœur de la bibliothèque

A Grenay, dans le Pas-de-Calais, la médiathèque-estaminet ouverte en juin pousse très loin l’esprit "troisième lieu", avec mutualisation des services et des compétences, mais aussi un vrai bar où l’on sert de la bière et des sandwichs.

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Par Véronique Heurtematte
Créé le 18.09.2015 à 02h03 ,
Mis à jour le 18.09.2015 à 10h48

Atypique, la médiathèque-estaminet, ouverte en juin dernier à Grenay, l’est à plus d’un titre. Dans cette petite commune du Pas-de-Calais de 6 600 âmes, en tête des villes les plus pauvres de France dans la catégorie des moins de 10 000 habitants, l’équipe municipale a fait le choix de miser fortement sur la culture comme levier de transformation sociale. Pour sa médiathèque, elle n’a pas hésité à pousser au plus loin la logique de "troisième lieu", et à sortir des sentiers battus, en s’inspirant des établissements les plus innovants d’Europe du Nord.

Premiers signes de cette volonté d’en faire un lieu de vie incontournable dans la cité : le bâtiment a été volontairement surdimensionné, avec 1 300 m2 quand à peine 500 m2 auraient suffi selon les normes en vigueur. Les horaires d’ouverture sont eux aussi hors norme : alors que la moyenne nationale est de 19 heures hebdomadaires dans les bibliothèques publiques, la médiathèque-estaminet est ouverte 44 heures du lundi au samedi, soit bien plus que la plupart des villes de 50 000 habitants. L’ouverture du bâtiment, tout automatisé et équipé en RFID, nécessite la présence de trois agents seulement.

Un comptoir de douze mètres

Dans le vaste hall entièrement vitré, une surprise plus grande encore attend le visiteur : un vrai bar avec un immense comptoir dans le prolongement de la banque d’accueil. Installé sur des tabourets hauts, on peut y commander de la petite restauration préparée par les commerçants du quartier et même, fait inédit en France, une bonne bière artisanale, tirée à la pompe, judicieusement baptisée Page 24. "Dans notre région, l’estaminet est un lieu emblématique de débat, de rencontre, de conscience politique et de convivialité. Et ici, il est inconcevable de faire un lieu convivial sans bière", explique en souriant Ali Boukacem, directeur des affaires culturelles pendant de nombreuses années et cheville ouvrière du projet, devenu depuis peu directeur général des services de Grenay. La médiathèque a envoyé deux salariés en formation et a obtenu la licence II gratuitement car la ville souffre d’un déficit de débits de boissons.

Une permanence des élus

Tout l’enjeu du projet était de faire entrer les habitants dans la bibliothèque, même ceux qui pensent a priori que ce n’est pas un endroit pour eux. L’estaminet a donc été conçu comme le passage obligé pour accéder à de nombreux services en matière de loisirs, culture, jeunesse. Les habitants s’y rendent pour inscrire leurs enfants à la cantine ou au centre de loisirs, pour rencontrer les assistantes maternelles, passer au bureau de la mission locale destinée aux 16-25 ans ou encore au bureau d’information jeunesse. La PMI ainsi que les élus y tiennent leurs permanences. "Dans un secteur défavorisé comme le nôtre, l’accès à la culture ne va pas de soi, poursuit Ali Boukacem. Il faut une approche différente pour inciter les gens à franchir les portes." L’équipe de douze personnes reflète cette diversité : elle compte, aux côtés de deux professionnels des bibliothèques, des animateurs socioculturels, des administratifs, une éducatrice de jeunes enfants, qui ont tous suivi des formations en bibliothéconomie. "Cette diversité constitue une richesse, relève Gwendoline Mercier, responsable de la bibliothèque. Cela permet de porter un regard différent sur nos activités."

En cet après-midi d’été, la médiathèque est occupée surtout par des adolescents. Quelques-uns attendent patiemment, assis sur les banquettes rouges de l’accueil, pour s’inscrire au centre de loisirs ; un peu plus loin, d’autres sont plongés dans une partie de jeu vidéo. Dans le cybercentre, un groupe suit un atelier d’informatique.

Le bâtiment, conçu très astucieusement par les architectes Isabelle Richard et Frédéric Schoeller, permet à la fois une circulation ouverte et fluide dans les différentes sections offrant 20 000 documents en tout, et d’isoler certains espaces afin qu’ils puissent fonctionner en dehors des heures d’ouverture de la bibliothèque : c’est le cas de l’auditorium, accessible directement depuis la belle place devant l’entrée principale, ainsi que des studios de répétition et d’enregistrement que les usagers pourront réserver à toute heure et utiliser de manière autonome. Autre originalité du projet : une vaste cuisine de 60 m2 avec un îlot central qui accueillera des ateliers animés par les artisans locaux. Autant de singularités qui ont nécessité de convaincre les partenaires institutionnels sollicités pour le financement du programme au budget de 4,5 millions d’euros, ce qui n’était pas gagné d’avance. "Finalement, même la Caisse d’allocations familiales a contribué, alors qu’on vend de la bière", s’amuse Ali Boukacem.

Promesse électorale

L’inscription à la médiathèque est gratuite pour les habitants comme pour les personnes extérieures. "Je voulais une égalité de traitement pour tous les citoyens, comme l’exige notre constitution, et la gratuité était la solution la plus simple", souligne Christian Champiré, maire (PC) de Grenay, qui avait fait de l’estaminet une promesse électorale. Ce dernier ne peut s’empêcher de faire part de sa surprise devant certaines pratiques découvertes lors de ses visites préparatoires à son projet. "J’ai vu une bibliothèque ouverte seulement 23 heures par semaine. C’est triste, quand on pense à l’énergie et au travail que cela demande de construire un tel équipement." Ailleurs, il s’étonne de voir quatre des seize agents d’une équipe ne faire que du catalogage. "Ils s’ennuyaient à mourir", déplore-t-il. Aujourd’hui, Christian Champiré constate avec plaisir l’intérêt que suscite le projet pour lequel il s’est battu. "Dites à vos lecteurs de venir nous voir, lance le maire. Nous serons ravis d’échanger sur nos expériences."

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