Pour célébrer ses 30 ans, Guérin marque cette fin d’année par une triple sortie - trois textes cultes réédités dans un format accessible - et par une soirée organisée à Chamonix le 6 décembre. L’occasion de revenir sur l’histoire d’une maison singulière, devenue une référence en matière de littérature de montagne. Fondée en 1995 par Michel Guérin, profondément marquée par la disparition de ce dernier en 2007, elle a été relancée avec force après son rachat par Paulsen en 2012. Entretien avec Charlie Buffet, son directeur éditorial depuis 2017.
Livres Hebdo : 30 ans après sa création, quelle place occupe d'après vous Guérin dans le paysage éditorial tricolore ?
Charlie Buffet : Je crois que Guérin est clairement identifié comme l’éditeur de littérature de montagne. En termes de notoriété, nous sommes très solidement installés. Il y a eu une grande époque Arthaud dans les années 1950-1960 ; aujourd’hui, quand nos auteurs sont invités à la télévision, on nous présente spontanément comme « le grand éditeur de montagne », qui publie « les livres rouges ». C’est un bon indicateur de notre assise. Du point de vue éditorial, ma ligne directrice est claire : me battre à chaque livre, à chaque ligne, pour que Guérin reste l'éditeur de référence en matière de montagne. Publier de bons livres, de bons alpinistes, de bons écrivains, et servir de passeur entre cette littérature exigeante et un public le plus large possible.
« On a envie de succès, évidemment, mais sans trahir notre ADN »
Vous cherchez justement à élargir ce public au-delà des passionnés de montagne ?
Oui. À l’origine, Michel Guérin a créé une maison très liée au Club alpin, vraiment tournée vers les passionnés. Mon ambition est de garder la même exigence sur le fond, mais d’élargir le lectorat. Ce qui se passe cet automne avec Benjamin Védrine résume bien cette volonté. Il est ce qui se fait de mieux en montagne aujourd’hui et il publie deux livres chez nous : un livre de photos sur son ascension du K2, pensé comme un appel d’air vers un lectorat plus jeune, et un texte beaucoup plus intime, Solitude, que j’ai accompagné de près. Ce n’est pas une biographie sportive classique avec une liste de performances. C’est un livre où il se livre sur ses fragilités, où il dit par exemple qu’il va en montagne parce qu’il manque de confiance en lui. Pour moi, c’est un peu le livre dont je rêvais depuis que j’édite : quelqu’un qui innove brillamment en montagne et qui est capable de raconter cela avec une vraie intériorité.
Qui sont dès lors vos concurrents à l'heure actuelle : les autres maisons spécialisées, ou directement les éditeurs généralistes ?
Nos concurrents directs sont bien sûr Glénat, les éditions du Mont-Blanc Catherine Destivelle, Arthaud… La question des maisons généralistes est plus délicate. Prenez le cas de Cédric Sapin-Defour : ses premiers livres ont été publiés chez nous. Mais le très grand succès Son odeur après la pluie s’est fait chez Stock. Honnêtement, je ne sais pas si ce livre aurait eu les mêmes chances chez nous : quand une maison est très identifiée à l’alpinisme, il y a des livres qui trouvent mieux leur place chez des éditeurs de littérature générale qui bénéficient d’une autre assise. Nous savons que nous sommes reconnus et fiables comme éditeur de montagne. Mais aller trop loin sur un terrain plus large, ce n’est pas forcément là que nous sommes les plus armés. Cela nous est arrivé – nous avons publié Jean-Christophe Rufin avec un très grand succès sur Compostelle (voir encadré ndlr) – mais ce n’est pas la direction que je privilégie. On a envie de succès, évidemment, mais sans trahir notre ADN.
Les trois plus grands succès des éditions Guérin
- Jean-Christophe Rufin, Immortelle randonnée (2013) — 329 159 exemplaires
Le récit devenu culte du pèlerinage de l’auteur sur le chemin de Compostelle, best-seller absolu de la maison. - Sylvain Tesson, Bérézina (2015) — 93 277 exemplaires
Une traversée littéraire et historique, dans la grande tradition du voyage narratif cher à Guérin. - Christopher McDougall, Born to Run (2012) — 58 244 exemplaires
Le livre-manifeste qui a introduit le trail au catalogue et ouvert la marque à un nouveau lectorat.
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Vous revendiquez un rythme de 12 titres par an. Est-ce un plafond ?
C’est amusant : 12, c’est le chiffre que je donne depuis des années, parce que l’idée d’un livre par mois me semble le maximum faisable humainement pour moi. En préparant notre anniversaire, je me suis rendu compte qu’en réalité, depuis 2015, nous n’avons fait 12 titres qu’une seule année : toutes les autres sont entre 13 et 18. Cette année, nous sommes à 13 titres, plus les trois petits livres publiés pour l’anniversaire (voir encadré). 12 reste pour moi un bon équilibre, mais il est clair que nous le dépassons régulièrement, parce que certains projets s’ajoutent. Disons que 12, c’est un repère, plus qu’un plafond.
Depuis 2012, Guérin est adossé à Paulsen. Ce montage capitalistique est-il stabilisé et est-il amené à évoluer ?
Oui, il est stabilisé. Il n’y a aucun sujet, aucune perspective de changement à ma connaissance. C’est un fonctionnement qui a trouvé son rythme de croisière
Cela vous aide-t-il à développer les cessions de droits à l’international ?
Pas autant que je le souhaiterais. C’est même un peu frustrant : les traductions arrivent de façon assez aléatoire. Quand nous avons publié Emmanuel Faber (patron du groupe Danone, ndlr) avec un beau succès (Ouvrir une voie), je pensais vraiment que nous aurions des propositions d’éditeurs américains, puisqu’il est connu là-bas. Cela n’a pas été le cas. En pratique, nous sommes davantage traduits lorsqu’il s’agit de grands alpinistes, dans les pays alpins : Italie, Allemagne, Espagne… Pour Benjamin Védrine, il serait étonnant qu’il n’y ait pas plusieurs traductions. Mais globalement, les cessions de droits ne sont pas, aujourd’hui, un axe massif de développement.
« Conserver la qualité et l’exigence qui font notre identité »
Concrètement, comment s’organise la vie de la maison entre Chamonix et Paris ?
Il n’y a pas de « siège Guérin » au sens strict. Il y a une boutique à Chamonix, qui fait aussi office de librairie, autour de laquelle se concentre la partie fabrication, et le comptable de la maison. À Paris, on trouve tout ce qui relève des relations commerciales, de la diffusion, de la communication, et la direction de Paulsen. On peut dire que Paulsen est intégralement à Paris – sauf la fabrication – et que Guérin est intégralement à Chamonix – sauf tout ce qui est diffusion, communication et direction. Et moi, je suis entre les deux, nomade.
Depuis que vous avez pris vos fonctions, comment avez-vous vu évoluer le marché du livre de montagne et, plus largement, de l’aventure ?
De l'intérieur, je l’ai surtout vu se professionnaliser : des calendriers mieux tenus, des échanges plus structurés avec la diffusion, davantage d’outils, d’argumentaires, de programmes… Avant, le fonctionnement était plus impressionniste. Sur le marché lui-même, il y a dix ou vingt ans, les tirages étaient plus flamboyants. Quand j’ai commencé à travailler avec Christophe Rivière, qui dirigeait la maison à l’époque, il me disait qu’entre ses débuts et mon arrivée, certains succès avaient déjà été divisés par deux en volume. Mais, dans nos résultats, je n’observe pas de chute brutale : je surveille surtout le plancher, que je fixe à environ 1 000 exemplaires vendus, et j’essaie de temps en temps, de « crever le plafond ».
Enfin, pour les dix prochaines années, quelle est votre ambition pour Guérin ?
Guérin n’est pas une maison qu’on révolutionne, mais c’est une maison qui a montré, depuis Born to Run notamment, qu’elle pouvait évoluer. Mon ambition, c’est que le terrain reste souple, capable d’accompagner ce qui s’invente de nouveau en montagne, tout en conservant la qualité et l’exigence qui font notre identité. Rester un éditeur de référence, un classique reconnu, mais un classique vivant, ouvert à ce qui arrive.
Les 3 livres anniversaires des éditions Guérin - Photo PG LHPour télécharger ce document, vous devez d'abord acheter l'article correspondant.

